UnĂȘtre que l’on aime, Un ami unique. Que l’AnnĂ©e 2022 t’apporte ce qu’il y a de meilleur. La rĂ©ussite, la richesse intĂ©rieure, la joie en toute heure. Je te souhaite 1000 bonheurs et douceurs . Je te souhaite douze mois pleins de saveurs. Mes Tu apporteras l'offrande qui sera faite Ă  l'Eternel avec ces Ă©lĂ©ments-lĂ  ; elle sera remise au prĂȘtre, qui la prĂ©sentera sur l'autel. Se connecter. Email / pseudo : Mot de passe : Se souvenir de moi. Se connecter. Mot de passe oubliĂ©. Continuer avec Apple Continuer avec Facebook Continuer avec Google. une alternative de connexion. Pas encore de compte ? Parces quelques mots affectueux, je t’envoie ma mamie chĂ©rie mes plus beaux voeux. Bonne fĂȘte ma grand-mĂšre que j’aime de tout mon coeur. Que la bonne santĂ©, la joie et l’amour des tiens ne te quittent jamais. Bon Anniversaire Ma grand-mĂšre adorĂ©e! A la plus belle des femmes et en ce jour spĂ©cial. Envoyer un message de bonne fĂȘte Vay Tiền Nhanh. Conjugaison RĂ©citer de suite les diffĂ©rents modes d'un verbe avec tous leurs temps, leurs nombres et leurs personnes, cela s'appelle conjuguer; et la conjugaison d'un verbe comprend toutes ces parties mises en ordre. TraitĂ© de la conjugaison des verbes ...De E. A. Lequien Conjuguer le verbe apporter Saisissez l'infinitif ou une forme conjuguĂ©e du verbe que vous cherchez. Conjugaison du verbe apporter Ă  tous les tempsindicatif, subjonctif, impĂ©ratif, infinitif, conditionnel. Tableau des conjugaisons du verbe apporterConjugaison du verbe apporter Ă  l'indicatif - Conjugaison du verbe apporter au conditionnel - Conjugaison du verbe apporter au subjonctif - Conjugaison du verbe apporter Ă  l'impĂ©ratif - Conjugaison du verbe apporter Ă  l'infinitif - Conjugaison du verbe apporter au participe prĂ©sent et passĂ©Comment conjuguer apporter ? Le verbe apporter IndicatifPrĂ©sent j'apporte tu apportes il apporte nous apportons vous apportez ils apportent Imparfait j'apportais tu apportais il apportait nous apportions vous apportiez ils apportaient Futur j'apporterai tu apporteras il apportera nous apporterons vous apporterez ils apporteront PassĂ© simple j'apportai tu apportas il apporta nous apportĂąmes vous apportĂątes ils apportĂšrent ConditionnelPrĂ©sent j'apporterais tu apporterais il apporterait nous apporterions vous apporteriez ils apporteraient SubjonctifPrĂ©sent que j'apporte que tu apportes qu'il apporte que nous apportions que vous apportiez qu'ils apportent Imparfait que j'apportasse que tu apportasses qu'il apportĂąt que nous apportassions que vous apportassiez qu'ils apportassent ImpĂ©ratifPrĂ©sent apporte apportons apportez ParticipePrĂ©sent apportant PassĂ© apportĂ© apportĂ©s apportĂ©e InfinitifPrĂ©sent apporter La conjugaison des verbes est une des principales difficultĂ©s de la langue française. Consultez les verbes français pour trouver facilement la conjugaison. Ce dictionnaire de la conjugaison s'adresse Ă  tous ceux qui veulent conjuguer correctement tous les verbes de la langue française. DĂ©finition & citation apporter Citation apporter Conjugaison du verbe apporter dĂ©finition Rapporter dĂ©finition Apporter Top conjugaison des verbes + Autres verbes ayant la mĂȘme conjugaison que apporter plĂ©bisciter enuclĂ©er sniffer dĂ©sĂ©chouer dĂ©culotter familiariser cancaner vacciner liquĂ©fier inclinerComment conjuguer le verbe apporter ? Avec plus de 8000 verbes conjuguĂ©s Ă  tous les temps, la conjugaison et l'ensemble des verbes n'auront plus de secrets pour vous. Conjuguez tous les verbes de la langue française, y compris les verbes irrĂ©guliers. Vous doutez d'une conjugaison d'un verbe ? ou du tableau de conjugaison du verbe apporter ? Testez vos connaissances de conjugueur ! ANNÉE 1867 1er janvier. — Une heure du matin. AnnĂ©e 1867, qu’est-ce que tu nous apporteras ? 2 janvier. — DĂźner chez la princesse avec Gautier, Octave Feuillet, et AmĂ©dĂ©e Achard, un homme du monde fanĂ©, un esprit sans accent, une voix sans timbre, — le type de l’effacement. Éreintement de Ponsard, menĂ© par Gautier et nous, Ă  l’encontre de la princesse ; au bout de quoi, quelqu’un demande Ă  Gautier, pourquoi il n’écrit pas ce qu’il dit Je vais vous conter une petite historiette, riposte tranquillement Gautier. Un jour M. Walewski me dit de n’avoir plus d’indulgence, et qu’il m’autorisait Ă  Ă©crire ce que je pensais sur les piĂšces. — Mais, lui dis-je, il y a cette semaine une piĂšce de X
 — Ah ! fit vivement Walewski, si vous ne commenciez que la semaine prochaine ? Eh bien, j’attends toujours cette semaine prochaine. » La princesse nous parle du prince impĂ©rial. Il paraĂźt que c’est un conservateur en herbe, que son pĂšre appelle le petit Ă©teignoir — et avec cela casseur en diable, — et dans une partie de jeu, ces temps-ci, un jour oĂč son pĂšre ne l’avait pas menĂ© au spectacle oĂč il comptait aller, ayant brisĂ© pour quarante mille francs de petits modĂšles de soldats exĂ©cutĂ©s par le sculpteur FrĂ©miet l’armĂ©e en rĂ©duction minuscule que l’Empereur a dans une armoire de sa chambre
 — Par le froid, les petits musiciens passent dans les rues, leur violon sous l’aisselle, perdus dans d’immenses redingotes, un kĂ©pi sur le sommet de la tĂȘte caricaturaux et sinistres, ayant l’air de petits singes en carrick. — Un symptĂŽme du temps. La boutique des libraires n’a plus de chaises. France fut le dernier libraire Ă  chaise et la boutique oĂč il y avait un peu de perte de temps entre les affaires. Maintenant les livres s’achĂštent debout. Une demande et un prix ; rien de plus. VoilĂ  oĂč la dĂ©vorante activitĂ© du commerce d’aujourd’hui a menĂ© cette vente du livre, autrefois entourĂ©e de flĂąnerie, de musarderie, et de bouquinage bavard et familier. — On parle toujours de la crĂ©ation du crĂ©ateur et jamais de la crĂ©ation de la crĂ©ature. Cependant que de choses créées par l’homme ; depuis, depuis
 jusqu’au cĂ©leste d’un air d’orgue. — Nous nous sentons antipathiques Ă  Girardin, comme des gens qu’il estime. — Je lis un rĂ©cit sur les prodigieuses dĂ©couvertes d’une ville Ă  Siam, dont les ruines couvrent dix lieues, et oĂč il y a des fragments de statues dont l’orteil mesure douze longueurs de fusil. Blague ou vĂ©ritĂ©, cela me fait rĂȘver. Y aurait-il, en avant de notre humanitĂ©, une humanitĂ© plus grande, des hommes de vingt-cinq pieds, des monuments de gĂ©ants, des villes comme des royaumes ? Existerait-il enfin, derriĂšre nous, un passĂ© bien autrement colossal que celui que nous connaissons ?
 Ah ! l’histoire, elle ne commence qu’à l’histoire c’est-Ă -dire Ă  l’humanitĂ© qui s’est fait de la publicitĂ© ! 16 janvier. — On causait amour, caprice, sentiment. Une femme un peu grasse, d’un certain Ăąge, mais encore des plus dĂ©sirables, disait, en plaisantant, qu’elle pourrait avoir la tĂȘte montĂ©e par un homme de cinquante ans. Comme l’aveu faisait rire autour d’elle, elle reprit J’ai toujours Ă©tĂ© un peu portĂ©e vers les gens d’ñge, je n’ai jamais apprĂ©ciĂ© les tout jeunes gens ; ils sont d’un creux, d’un vide
 Puis les jeunes gens, ça remue, il faut toujours que ça soit en l’air, que ça danse, que ça soit Ă  cheval. Et comme j’ai toujours Ă©tĂ© un peu grasse, j’aimais mieux rester dans un bon fauteuil, ou sur un canapĂ©, les jambes allongĂ©es, avec des gens qui restaient assis et qui causaient. » — L’Exposition universelle, le dernier coup au passĂ© l’amĂ©ricanisation de la France, l’industrie primant l’art, la batteuse Ă  vapeur rognant la place du tableau, les pots de chambre Ă  couvert et les statues Ă  l’air en un mot la FĂ©dĂ©ration de la MatiĂšre. — Je crois que nous finirons par mourir avec l’idĂ©e que personne n’a lu un livre ni vu un tableau. 3 fĂ©vrier. — On raconte que dans les entrevues d’Ollivier avec l’Empereur, ce dernier le pria de lui dire bien franchement ce qu’on disait de lui de parler enfin comme s’il ne parlait pas Ă  l’Empereur, et Ollivier ayant fini par lui dĂ©clarer qu’on trouvait que ses facultĂ©s baissaient Cela est conforme Ă  tous mes rapports ! » fit l’Empereur impassible. Le mot lui ressemble, et par son impersonnalitĂ©, il atteint Ă  une certaine grandeur. 9 fĂ©vrier. — Aujourd’hui je feuilletais, chez un marchand, un carton d’estampes. Au bas de la planche de Lawreince le Roman dangereux, sous la femme Ă©tendue sur le lit de repos, je vois Ă©crit par une encre contemporaine de Manuel la duchesse de Berry. L’histoire s’écrira encore longtemps comme ça. — Il n’y a que deux situations dans les rapports avec ses semblables ou vous avez besoin d’eux, ou ils ont besoin de vous. Notre niaiserie est malheureusement de ne jamais abuser de la seconde des situations. — La rĂ©volution de l’existence parisienne est assez bien marquĂ©e par le passage de la taverne de Lucas Ă  la taverne de Peters. L’une a Ă©tĂ© autrefois, l’autre est, Ă  l’heure prĂ©sente, la salle Ă  manger des Parisiens. Eh bien ! le dĂźneur chez Lucas Ă©tait un artiste, un employĂ© supĂ©rieur de ministĂšre, un officier en bourgeois, un gentilhomme de 6 000 livres de rente. Aujourd’hui le dĂźneur chez Peters est un boursier, ou un turfiste ; ou un photographe. — RĂȘve que font tous les danseurs. Ils rĂȘvent qu’à force d’entrechats, ils vont se brĂ»ler au lustre. 5 fĂ©vrier. — Singuliers Parisiens dans Paris que nous, nous, solitaires comme des loups. Depuis trois mois, Ă  peine sommes-nous rattachĂ©s Ă  nos semblables par les seuls dĂźners de Magny et de la princesse. Trois mois, sans presque une visite, sans presque une lettre, sans presque une rencontre de connaissances, en nos promenades de onze heures du soir. Nous amassons, moitiĂ© de grĂ©, moitiĂ© de force, la solitude autour de nous, tout Ă  la fois contents de n’ĂȘtre pas blessĂ©s par le contact des autres, tout Ă  la fois tristes de n’ĂȘtre qu’avec nous. — Le XIXe siĂšcle a opĂ©rĂ© l’humanitĂ© de la cataracte. Un exemple bien frappant. Jean-Jacques Rousseau le descriptif, a passĂ© Ă  Venise, sans ĂȘtre plus touchĂ© par la fĂ©erie du dĂ©cor et la poĂ©sie du milieu, que s’il avait Ă©tĂ© secrĂ©taire d’ambassade Ă  Pontoise. 22 fĂ©vrier. — Le romantisme n’est pas nĂ© en France. Il devait nous venir comme une plante des tropiques, du Nouveau Monde. Bernardin de Saint-Pierre le rapporte de l’üle de France et Chateaubriand de l’AmĂ©rique. — VoilĂ  huit jours que nous sommes sur le flanc ; huit jours que nous sommes malades avec des crises oĂč l’on se tord sur soi-mĂȘme et qui ont pris, — singuliĂšre rencontre de la sympathie, — ont pris, la mĂȘme nuit, Ă  l’un le foie, Ă  l’autre l’estomac. Toujours souffrir ! Et ne jamais ĂȘtre complĂštement sans un peu souffrir ! Pas une heure de cette pleine et sereine plĂ©nitude et sĂ©curitĂ© de santĂ© qu’on voit aux autres. Toujours ou l’inquiĂ©tude de sa souffrance Ă  soi ou l’inquiĂ©tude de celle de l’autre. Toujours disputer sa verve et arracher son imagination au mal-en-train de son corps, Ă  la tristesse du mal. 25 fĂ©vrier. — À nous convalescents, la santĂ© de Flaubert, grossiĂšre, sanguine, et campagnardisĂ©e par un plein air de six mois, nous fait paraĂźtre l’homme un peu blessant ou au moins trop exubĂ©rant pour nos nerfs, — et son talent mĂȘme se grossit de son encolure dans notre pensĂ©e. — Les belles choses en littĂ©rature sont celles qui font rĂȘver au delĂ  de ce qu’elles disent. Par exemple dans une agonie, c’est un geste sans raison, un rien vague qui n’est pas logique, un rien qui est un symptĂŽme inattendu d’humanitĂ©. — Pourquoi une porte japonaise me charme-t-elle et m’amuse-t-elle l’Ɠil, tandis que toutes les lignes architecturales grecques l’ennuient, mon Ɠil ! Quant aux gens qui prĂ©tendent sentir les beautĂ©s de l’un et de l’autre art, ma conviction est qu’ils ne sentent rien, absolument rien. — Il y a autour de nous une mauvaise volontĂ© du temps et des gens. Nous nous sentons vivre dans une hostilitĂ© ambiante. Il est comme une entente, pour nous empĂȘcher de prendre possession, de notre vivant, de notre petit morceau de gloire. Cela ne nous ĂŽte rien de notre confiance et de notre conscience dans l’avenir ; mais cela nous est amer de sentir que, pendant toute notre vie, rien ou presque rien ne nous sera payĂ© pour tout ce que nous avons apportĂ© de neuf, d’humain, d’artiste ; tandis qu’à cĂŽtĂ© de nous, le tintamarre des moindres petits talents fait tant de bruit, et que ces petits talents touchent un si retentissant viager. — En ce moment nous achetons force mĂ©moires, correspondances, autobiographies, tous documents d’humanitĂ© — le charnier de la vĂ©ritĂ©. 6 mars. — La princesse a un charmant sourire, un aimable sourire humain, plein de choses. Il eĂ»t fallu le lui voir sur les lĂšvres, ce sourire, quand elle disait, ce soir, Ă  Sainte-Beuve Oh ! si un jour on fouille nos correspondances, monsieur de Sainte-Beuve, on verra que nous avons tendu la main Ă  pas mal de coquins ! » 8 mars. — Nous nous sauvons comme des voleurs avec deux gros volumes sous le bras les MĂ©moires de Gavarni, » que son fils vient de nous confier. Nous avons eu peu, dans notre vie, de joies aussi vives. Et avant d’aller prendre notre leçon d’armes, au premier cafĂ© borgne, sur le marbre tachĂ© de roupies de cafĂ©, nous voilĂ  Ă  nous plonger dans cette cervelle et ce cƓur, tout ouverts. 15 mars. — MĂ©moires curieux que ces mĂ©moires de Gavarni. Pas un parent, un ami, un passant, nommĂ© dans son existence, — une absence complĂšte des autres. Des mĂ©moires remplis uniquement par la femme qui semble avoir pris absolument possession de son moi et un mĂ©lange de cynisme et de petite fleur bleue ». Plus tard la mathĂ©matique chasse la femme, mais sans laisser plus reparaĂźtre dans le journal l’homme avoisinant l’artiste
 La plus Ă©tonnante inĂ©galitĂ© dans le niveau des idĂ©es, les plus grandes vues Ă  cĂŽtĂ© de balivernes, de calembours, de dĂ©sossements enfantins de mots. Au fond Gavarni n’a Ă©crit dans ces deux volumes que ses mĂ©moires amoureux, et en un temps oĂč il est encore un soupireur du bataillon sentimentaire et romanesque de 1830, allant presque, dans la pratique, Ă  l’échelle de corde et Ă  la lanterne sourde, — et cela dans une prose lamartinienne mĂ©langĂ©e de casuistique amoureuse Ă  la Karr, et tournant autour d’Elvires de bals masquĂ©s. Ah ! c’est vraiment bien malheureux qu’on n’ait pas de lui, jetĂ©e sur le papier, sa pensĂ©e de 1852 Ă  1860, en ces annĂ©es, oĂč nous avons rencontrĂ© chez lui la plus originale cervelle philosophique de ce siĂšcle. — Le plus grand signe du noble est de parler Ă  son domestique ; l’homme, qui n’est pas un peu nĂ©, lui commande et ne lui parle pas. 16 mars. — PremiĂšre des IdĂ©es de Madame Aubray. C’est la premiĂšre que je vois de Dumas fils, depuis la Dame aux CamĂ©lias. Un public particulier, et que je n’ai guĂšre vu que lĂ . Ce n’est plus une piĂšce qu’on joue, c’est la cĂ©lĂ©bration d’une sorte de messe devant un public de dĂ©vots. Il y a lĂ  une claque qui semble officier, et des renversements d’extase et des pĂąmoisons de plaisir qui rabĂąchent Ă  chaque mot Adorable ! » L’auteur dit L’amour c’est le printemps, ce n’est pas toute l’annĂ©e. » Salve d’applaudissements. Il reprend appuyant sur le trait Ce n’est pas le fruit, c’est la fleur ! » Redoublement de battoirs. Et ainsi tout le long. Rien ne se juge, rien ne s’apprĂ©cie, tout s’applaudit avec un enthousiasme apportĂ© d’avance et prĂȘt Ă  crever. Dumas a un grand talent. Il a le secret de parler Ă  son public, Ă  ce public des premiĂšres ; il en est le poĂšte, et sert aux hommes et aux femmes de ce monde, dans une langue Ă  leur portĂ©e, l’idĂ©al des lieux communs de leur cƓur. 17 mars. — Je vomis mes contemporains. C’est dans le monde actuel des lettres, et dans le plus haut, un aplatissement des jugements, un Ă©croulement des opinions et des consciences. Les plus francs, les plus colĂ©reux, les plus plĂ©thoriques, dans la bassesse des Ă©vĂ©nements, du ciel, des fortunes de ce temps, au contact du monde, au frottement des relations, au ramollissement des accommodements, dans l’air ambiant des lĂąchetĂ©s, perdent le sens de la rĂ©volte, et ont de la peine Ă  ne pas trouver beau, tout ce qui rĂ©ussit. 19 mars. — Un garçon qui veut faire notre portrait littĂ©raire, nous a Ă©crit pour nous voir. Il s’appelle Puissant. Une tĂȘte excentrique, un Bourguignon aux joues allumĂ©es du vin de son pays, le crĂąne nu, brillant de ce blanc poli qu’ont souvent les tĂȘtes des toquĂ©s, rasĂ© comme un acteur, une petite mouche noire d’ouvrier sous la lĂšvre, et vĂȘtu d’habits de village. Quelque chose d’un comĂ©dien, d’un fou, d’un vigneron, avec une parole bizarre qui dramatise ce qu’elle conte, et parfois s’arrĂȘte, au milieu de ricanements troublants. Au lieu de nous confesser, il nous raconte son histoire. Il y a six mois, il est tombĂ© de son pays, d’Auxerre, sur le pavĂ© des basses lettres Ă  Paris, en compagnie de sa femme, une jeune femme de dix-sept ans, et rĂ©duit, pour vivre, Ă  copier de la musique sur d’imbĂ©ciles paroles gaies de Debraux
 20 mars. — À propos du grand nombre de fous chez les musiciens, — enfermĂ©s ou non enfermĂ©s, — Berthelot disait finement Ce sont des gens qui sentent et ne pensent pas ! » 1er avril. — Le marchand d’estampes VignĂšres nous racontait que M. Thiers avait voulu exiger de lui qu’il lui communiquĂąt les commissions, donnĂ©es pour les ventes, et que, sur son refus, il s’était fĂąchĂ© avec lui. Ce petit abus de confiance, que du haut de son nom de M. Thiers, il voulait arracher Ă  ce pauvre diable d’honnĂȘte homme, me pousse Ă  la crĂ©dulitĂ© sur beaucoup de choses, prĂȘtĂ©es Ă  l’ancien ministre. 2 avril. — Nous partons pour Rome. 3 avril. — C’est du bonheur presque, en sortant du gris de Paris, de trouver, comme ce matin, en approchant de Marseille, un ciel bleu, lĂ©ger, riant, de la verdure de printemps, des villages qui ont l’air d’ĂȘtre bĂątis avec une boue d’or. Quand on regarde ce pays, sa surface vous paraĂźt trop heureuse et trop Ă©gayĂ©e, pour produire un talent tourmentĂ© et nerveux le talent moderne. Il ne peut pousser ici, qu’un blagueur comme MĂ©ry ou un talent clair et plat comme Thiers[1]. Jamais ici il ne poussera du Hugo ou du Michelet. 5 avril. — Sur le Pausilippe. De ma cabine je regarde bĂȘtement par l’Ɠil rond, par le hublot du bateau, l’échevĂšlement Ă©ternel des vagues, oĂč dedans parfois, un petit bateau s’encadrant dans cette grosse lentille, semble une marine peinte sur un galet de cristal. Sur le pont, il y a des enrĂŽlĂ©s dans les zouaves pontificaux, des Belges surtout, de pauvres jeunes gens, aux mines hĂąves, dont quelques-uns lisent, sur des cordages, des livres de piĂ©tĂ©, Ă  tranches dorĂ©es enrĂŽlĂ©s de misĂšre que le mal de mer ne rend pas jaunes, mais terreux. 5 avril. — L’homme du gouvernail, accoudĂ© Ă  cette roue dĂ©roulant l’immensitĂ© des mers, et tournant autour du monde, — une main morte sur le cuivre de la roue, l’autre tenant un de ses montants ; — cet homme Ă  la figure tannĂ©e, boucanĂ©e par le vent salin, sa toque de marin sur la tĂȘte, et sa robuste silhouette se dĂ©tachant sur un ciel qui se perd dans une clartĂ© mourante de feu de Bengale, ponctuĂ© du vol noir de quatre ou cinq mouettes, cet homme ayant derriĂšre lui la barque de sauvetage. Quel superbe et simple frontispice pour un livre de voyage ! La mĂšre de NapolĂ©on n’est dans l’histoire que le ventre qui l’a portĂ©. Pareille Ă  la femme de la Fable, elle fit le rĂȘve d’ĂȘtre accouchĂ©e de la foudre — et ce fut toute sa vie. 6 avril. — Civita Vecchia. Dix heures du matin
 Enfin des rues tortueuses, des carrefours, des marchĂ©s sales, vivaces, grouillants, une population habillĂ©e de taches, des bĂątisses de raccroc, du pittoresque, de l’artistique, — une ville sans Ă©dilitĂ©, avec des coulĂ©es de picturales ordures. J’éprouve une singuliĂšre impression, mes yeux sont heureux, je me sens en rupture de ban avec cette France amĂ©ricaine, avec ce Paris au cordeau de maintenant. Allant au hasard, je tombe sur un morceau de grille rousse, pareil Ă  un soupirail de maladrerie du moyen Ăąge. Soudain, d’un des petits carrĂ©s de fer treillissĂ©, sort au bout d’un bĂąton une pochette en loques, avec une voix d’imploration qui me jette Monsu, Monsu
 C’est un prisonnier, — car c’est la prison, — et cette fenĂȘtre est comme un parloir avec la rue, et oĂč l’enfermĂ© a le secours de la pitiĂ©, et du bavardage faisant, sous le soleil, sonore le pavé  Je ne sais pourquoi, j’aime cette bonne enfance de la rĂ©pression. Ces villes des États Romains, me semblent les derniĂšres villes, oĂč le pauvre est encore chez lui. Il y a lĂ , un apitoiement, une misĂ©ricorde de nature, presque une familiaritĂ© du petit bourgeois pour le pauvre, le misĂ©rable, le haillonneux, qui vous Ă©tonne, quand on vient d’un de ces pays durs aux sans-le-sou, oĂč l’on fait des cours officiels de philanthropie. C’est presque avec une caresse, que le maĂźtre de cafĂ© pousse doucement le mendiant Ă  la porte. Six heures. ArrivĂ©e Ă  Rome. Un individu, que nous avons pris Ă  Civita Vecchia, sort de la voiture des prisonniers, des menottes de fer aux mains. C’est le vrai brigand poncif de Schenetz. Il est gras, fleuri, insoucieux, et visiblement flattĂ© de l’attention sympathique du public, pendant qu’il marche entre deux carabiniers, qui semblent avoir, sur le front, la honte que devrait avoir le brigand. 9 avril. — La femme du Midi ne parle qu’aux sens ; son impression ne va pas au delĂ . Elle ne s’adresse qu’à l’appĂ©tit masculin. Et le soir, aprĂšs avoir passĂ© en revue tous ces types de beautĂ© Ă©clatante ou sauvage, que montrent la rue, le Pincio, le Corso, je trouve qu’il n’y a qu’une Anglaise ou une Allemande qui vous donne la sensation aimante, le remuement tendre. 12 avril. — Une chose est incalculable le carrĂ© de bĂȘtise que dĂ©veloppe, Ă  table d’hĂŽte, Rome chez les bourgeois. — Ce peuple romain a la loterie et le paradis, ces deux horizons, Ă  la cantonade, de la fĂ©licitĂ© d’un peuple. — Tout est unique dans la vie. Le plaisir physique que vous a donnĂ©, Ă  telle minute, telle femme, le plat rĂ©ussi que vous avez mangĂ©, tel jour, vous ne le retrouverez plus jamais. Rien ne recommence et tout n’est qu’une fois. — Ah ! le peuple heureux que ce peuple gai de la gaietĂ© de son ciel, avec ses bonheurs Ă  bon marchĂ©, achetant la viande de premiĂšre qualitĂ©, douze baĂŻoques, et le vin rien, pour ainsi dire, et sans la conscription, et sans presque d’impĂŽts, et sans humiliation dans la pauvretĂ©, et sans amertume dans la misĂšre, soulagĂ© qu’il est par tant d’institutions de bienfaisance, et aussi par la main Ă  la poche des un peu moins pauvres que les plus pauvres. Quand je compare ce peuple aux peuples de progrĂšs et de libertĂ©, marquĂ©s au signe de ce sinistre affairement moderne, en lutte avec le budget de chaque jour, massacrĂ©s d’impĂŽts, y compris celui du sang, je trouve vraiment que les mots se payent bien cher. — Le mystĂšre des mystĂšres restera toujours ceci c’est que le dessin d’une bouche, la ligne d’un geste, la lumiĂšre d’un certain regard, fassent de femme Ă  homme, des attractions comme de sphĂšre Ă  sphĂšre. 17 avril. — Une chose est en train de dĂ©faire le style de la rue et de la femme Ă  Rome la cotonnade, cette affreuse chose neutre qui fait penser Ă  un temps, oĂč il n’y aura plus dans les cinq parties du monde qu’une mĂȘme robe du mĂȘme ton, pour habiller toutes les femmes de tous les peuples. 20 avril. — Ce voyage que nous craignions, que nous avons fait par conscience, par dĂ©vouement Ă  la littĂ©rature Madame Gervaisais, c’est singulier ! nous y Ă©prouvons un sentiment de dĂ©livrance, de lĂ©gĂšretĂ© de notre ĂȘtre, d’allĂ©gresse presque, que nous n’attendions pas. Ici on sent que rien n’a Ă©tĂ© fait sur l’antiquitĂ©, en dehors de l’archĂ©ologie, et qu’il manque un rĂ©surrectionniste de cette antiquitĂ©, Ă  la façon d’un Michelet, pour l’histoire de France
 La belle besogne pour un malade de Paris, pour un jeune blessĂ© de la sociĂ©tĂ© moderne, de venir s’enterrer ici, de faire une suite de monographies qui s’appelleraient le PanthĂ©on, le ColisĂ©e
 ou mieux, s’il en avait la puissance, de reconstituer, dans un grand et gros livre, toute la sociĂ©tĂ© antique, et s’aidant des musĂ©es, de tout le petit monde de choses et d’objets qui a approchĂ© l’homme ancien, le montrerait comme on ne l’a pas encore montrĂ©, — et, avec la strigille accrochĂ©e dans une vitrine, vous ferait toucher la peau de bronze de la vieille Rome. Ce soir, un inoubliable tableau Ă  l’hĂŽpital des Pellegrini. Sur des bancs, des files de paysans sauvages, de vrais pouilleux, un bec de gaz, au-dessus de leurs tĂȘtes dans l’ombre, qui ne montre de blanc que le col de leurs chemises ouvertes, — et leur dĂ©piotant les bas, et leur lavant les pieds dans un baquet, des confrĂšres de la TrinitĂ©, des pĂšlerins en rouge Ă  rabats, et Ă  tabliers blancs, avec des serviettes sous le bras, Ă  l’instar des garçons de cafĂ©, — des confrĂšres qui sont des cardinaux, des princes, de jeunes gentilshommes, dont on voit les bottes vernies sous la robe du servant, et que leurs voitures attendent sur la place. Et quand ces immondes pieds sont lavĂ©s et essuyĂ©s, les confrĂšres, les approchant de leur bouche, les baisent Ă  deux places. Une certaine Ă©motion devant cet impitoyable rappel Ă  l’égalitĂ©. Au fond une grande source d’humanitĂ© que cette religion catholique, et je m’irrite de voir des intelligences et des esprits se mettre Ă  genoux devant la religion sans entrailles de l’antiquitĂ©. Tout le tendre, tout le sensitif, tout le beau Ă©mu du moderne, vient du Christ. 21 avril. — Les derniĂšres paroles de la bĂ©nĂ©diction du pape flottaient encore dans l’écho de l’air, alors que trois femmes — c’est le premier spectacle qui m’est donnĂ© — trois femmes cherchent Ă  s’arracher des morceaux de visage, au milieu de la joie d’hommes riant et se frottant les mains. Ce peuple-lĂ , mĂȘme sur les marches de Saint-Pierre, descend toujours de son cirque. 23 avril. — Je dĂźnais hier Ă  l’ambassade, Ă  cĂŽtĂ© d’une jeune femme, la femme de l’envoyĂ© des États-Unis Ă  Bruxelles, une AmĂ©ricaine, et voyant Ă  l’Ɠuvre cette grĂące libre et conquĂ©rante, ce diable au corps d’une jeune race, cette virtualitĂ© de la coquetterie qui garde le charme et la domination de la flirtation chez ces jeunes filles devenues des Ă©pouses, et me rappelant d’autre part l’activitĂ© et l’entrance de certains AmĂ©ricains de Paris, je me disais que ces hommes et ces femmes semblaient destinĂ©s Ă  devenir les futurs conquĂ©rants du monde. — Plus on va, plus on voit que, dans ce monde, rien ne se traite sĂ©rieusement que les choses lĂ©gĂšres, et lĂ©gĂšrement que les choses sĂ©rieuses. — Museo Vaticano. Parmi les statues d’hommes nus, un certain rentrant des reins qui n’existe, dans les temps modernes, que chez les gymnastes et les faiseurs de tours. Un des caractĂšres de la beautĂ© de l’Ɠil dans les statues grecques — caractĂšre que je n’ai vu indiquer nulle part — c’est la retraite de la paupiĂšre infĂ©rieure, en sorte que si on regarde un Ɠil de profil, il se dessine en une ligne complĂštement fuyante, tandis que dans les bustes romains, et cela est trĂšs marquĂ© dans la sculpture mĂ©diocre, la paupiĂšre supĂ©rieure est sur la mĂȘme ligne que l’infĂ©rieure. Une beautĂ©, dans la beautĂ© grecque, une beautĂ© que les poĂštes nous montrent apprĂ©ciĂ©e, c’est la forme et la dĂ©licatesse des joues, le masque osseux de la figure devait ĂȘtre singuliĂšrement resserrĂ©, amenuisĂ© aux pommettes. Ce n’est pas la tĂȘte romaine, qu’enfle dĂ©jĂ  la saillie des arcades zygomatiques, qui a tout son dĂ©veloppement dans les tĂȘtes barbares. No 66. TĂȘte prĂ©sumĂ©e de Sylla. Une tĂȘte ayant le type de l’acteur Provost. Un vieillard, le front ravinĂ© de rides, l’Ɠil sans prunelle dans le creux d’un orbite froncĂ© de patte d’oie, la chair lasse et dĂ©bridĂ©e du vieil Ăąge dans les joues, la bouche avec son hiatus de cĂŽtĂ©, entr’ouverte par l’édentement, un coin baissĂ©, un coin relevĂ©, et respirant une ironique et intelligente amertume ; rien d’admirable comme les flottants modelages du dessous du menton, et les deux belles cordes faisant la fourchette du cou. Et quoi de plus artiste dans cette tĂȘte, aux dessous et aux plans prĂ©cieusement modelĂ©s, que ces coups de ciseau qui ont gardĂ© la rudesse de l’ébauche, et griffent cette tĂȘte des fortes rayures de la vie et des annĂ©es ? Il y a dans cette tĂȘte des parties, ainsi que dans la fuite des joues, dans l’oreille, qui laissent voir sous le rocheux du travail, et dans le gros grain du marbre, comme le lĂąchĂ© d’un dessin de gĂ©nie. SinguliĂšre et rare union de la beautĂ© de la sculpture grecque avec le rĂ©alisme de la sculpture romaine. Une statue, grande comme deux fois un homme, une statue de bronze dorĂ©, Ă  la dorure Ă©paisse comme un sequin rongĂ© de vert-de-gris par les siĂšcles, une statue qui semble un corps de gĂ©ant dans la damasquinure d’une armure d’or, — c’est l’Hercule nouvellement trouvĂ©. Un morceau de splendeur que le jour caresse avec joie, et qui se lĂšve dans sa grande niche, comme l’échantillon rayonnant de la richesse et du luxe du Temple antique. CĂ©sar Auguste. Les cheveux versĂ©s sur le front comme des gerbes. Une tĂȘte oĂč, dans la solide construction de l’ancienne tĂȘte romaine, il y a comme le poids pesant de la pensĂ©e. Une matĂ©rialitĂ© mĂ©ditative. La sĂ©vĂšre et profonde beautĂ© des yeux, qu’on sent plutĂŽt qu’on ne perçoit dans leur cernure d’ombre. Dans le bas de la figure, autour de la bouche, comme un tourment apaisĂ© et un travail de haut souci. La cuirasse toute chargĂ©e d’histoire et d’allĂ©gories, bardant l’empereur de bas-reliefs, dont la saillie d’art rappelle le casque du centurion de PompĂ©i, et dont les couleurs effacĂ©es, dĂ©lavĂ©es, font songer au rose pĂąle des vieux ivoires. Et le grand et tranquille retroussement de draperie portĂ© sur le bras droit, dont la main tient le sceptre du monde, — un manche Ă  balai pour l’heure. — Apparition de grandeur et de majestĂ© de l’humanitĂ©. C’est comme un Dieu mĂ©lancolique du commandement. Ici je le reconnais et je le proclame, — ce que j’ai toujours reconnu du reste dans mes discussions avec Saint-Victor — la supĂ©rioritĂ© Ă©crasante de la sculpture grecque. Pour la peinture je ne sais pas ; ç’a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un trĂšs grand art. Mais la peinture n’est pas le dessin, la peinture est avant tout de la couleur, et je ne la vois que dans les pays de brouillards froids ou chauds, dans les pays oĂč un certain prismatique monte de l’eau dans l’air, en Hollande ou Ă  Venise. Elle ne m’apparaĂźt pas dans le clair Ă©ther de la GrĂšce, pas plus que dans le bleu clair de l’Ombrie. Au MusĂ©e Égyptien. L’élĂ©gance de la petite nature d’Égypte et le suave enveloppement des formes. Des figures qui ont l’air de sortir d’un suaire de basalte, qui les moule d’un jet coulant et sans pli. 25 avril. — Ce jour-ci, j’ai Ă©tĂ© porter une lettre de Charles Blanc Ă  Chenavard, dans une maison du TranstĂ©vĂšre, une habitation de peuple. Chenavard, une belle tĂȘte de philosophe antique empreinte de la tristesse des vieux artistes aux ambitions Ă©croulĂ©es. Une voix Ă©teinte, strangulĂ©e comme par l’extinction d’une parole usĂ©e et rĂ©pandue depuis quarante ans. Un grand causeur, comme on me l’avait dit, remuant les idĂ©es par le haut, avec un flux qui va toujours
 Il me dit qu’il a l’habitude de sortir Ă  quatre heures, et me donne rendez-vous pour une de ces promenades pĂ©ripatĂ©ticiennes Ă  la Poussin, Ă  travers la vieille Rome. Aujourd’hui, je me rends chez lui. Je l’entrevois en chemise, se levant de sa sieste. Et il arrive presque aussitĂŽt, accompagnĂ© de l’ami chez lequel il demeure, un vieux Français, Ă©chouĂ© Ă  Rome depuis 1826, mariĂ© Ă  une grosse femme qui nous a ouvert, et qui me semble avoir eu sa carriĂšre d’artiste, sa patrie, sa langue, enfin tout, dĂ©vorĂ© par cette femme. Nous allons, nous marchons, nous cognant Ă  des morceaux de forum, pendant que Chenavard nous expose des thĂ©ories de dĂ©couragement et d’écrasement de l’art sous son passĂ©, son victorieux passĂ©, comparĂ© Ă  son triste prĂ©sent
 Et de cette promenade, de cette causerie, de la sociĂ©tĂ© de ces deux vieillards, de ces ruines de rĂȘves que sont ces deux hommes l’un qui songea Ă  ĂȘtre le rĂ©novateur de l’art contemporain, l’autre qui eut l’ambition d’ĂȘtre peintre en 1820, et dont je ne sais pas le nom, j’emporte une mĂ©lancolie plus noire que la mĂ©lancolie de ce grand passĂ©, enterrĂ© dans le champ Palatin, oĂč nous avons errĂ©. — Se jeter, en se levant, dans l’étude courante et passegiante de quelque Ă©glise, de quelque ruine, dĂ©jeuner sur une table boiteuse du cafĂ© Greco, dans l’ombre de son chez soi, fumer des cigares en Ă©crivant des notes, devant un bouquet de roses blanches au cƓur de soufre ; puis, vers quatre ou cinq heures, faire une promenade, en voiture, dans les environs de Rome c’est lĂ  notre vie de tous les jours. — Choses et gens tout est ici, un peu comme l’odeur de la rue de Rome, oĂč l’on ne sait pas trop ce que l’on sent, si c’est la m
 ou la fleur d’oranger. 1er mai. — Le Torse du Vatican entame un peu l’admiration qu’on apporte de France au MoĂŻse de Michel-Ange. On est frappĂ© dans cet effort de la force, d’une rondeur ronflante qui n’existe jamais dans la sculpture antique, dans la chair de marbre d’Apollonius. Les veines en racines, sillonnant les bras, un malheureux emprunt Ă  la trĂšs mĂ©diocre sculpture dramatique du Laocoon. L’Ɠil aux beaux temps de la GrĂšce, si bellement et si majestueusement s’enfermant, et se reculant dans de l’ombre, a dans le MoĂŻse, la petite et misĂ©rable indication de la prunelle. Enfin devant toute cette robustesse de l’Ɠuvre molle et soufflĂ©e, un esprit indĂ©pendant arrive Ă  se demander quand il compare le MoĂŻse au Torse, si Michel-Ange n’est pas, dans le grossissement du muscle, et dans la recherche de la tourmente de la force physique, un dĂ©cadent aussi corrompu que l’est Boucher, en sa recherche de la grĂące. 3 mai. — Ici, au bout de quelque temps, la poĂ©tique de la vie amĂšne chez un Français un revenez-y au parisianisme. Et il se surprend, Ă  l’heure du crĂ©puscule, dans le Corso, Ă  mĂąchonner, Ă  se rĂ©pĂ©ter quelque Ă©norme mot cynique Ă  la Grassot ou Ă  la Lagier, comme pour se rendre l’odeur saine du ruisseau de Paris. La beautĂ© du sang ne se fait que dans la prodigalitĂ© de la procrĂ©ation humaine. Il n’y a que les races, que les peuples, que les quartiers de ville ne malthusianisant pas, qui jettent dans le flot de la fĂ©conditĂ© naturelle, de beaux enfants. La grande question moderne — et aujourd’hui dominant tout, et menaçante — c’est ce grand antagonisme du Latin et du Germain ce dernier devant dĂ©vorer le premier. Et cependant, prenez, dans le tas de ces deux humanitĂ©s, un Ă©chantillon de chacune, l’intelligence personnelle sera presque toujours du cĂŽtĂ© du Latin, de l’Italien par exemple. Mais cette intelligence n’est-elle pas semblable au soleil purement artiste de Rome, qui ne fait que des fleurs et pas de lĂ©gumes ? Je suis frappĂ© combien le caractĂšre du Français se dĂ©nationalise Ă  l’étranger, et combien vite et naturellement le pays qu’il habite, dĂ©teint sur lui et jusqu’au fond de son ĂȘtre. En France l’étranger se frotte Ă  la France ; il ne s’y noie jamais. Tout ce qui est beau en Italie la femme, le ciel, le pays, est crĂ»ment, brutalement, matĂ©riellement beau. La beautĂ© de la femme est la beautĂ© d’un bel animal. L’horizon est solide. Le paysage est sans vapeur et sans rĂȘve. L’au-delĂ  nuageux de toutes les choses du Nord n’existe pas ici. 4 mai. — La Transfiguration de RaphaĂ«l. La plus dĂ©sagrĂ©able impression de papier mal peint, que puisse donner la peinture Ă  l’Ɠil d’un peintre coloriste. Impossible de voir — quand on voit — un dĂ©saccord, une discorde plus criarde, de tons vilainement bleus, jaunes, rouges et verts — un vert surtout, un vert de serge abominable ; et tous ces tons associĂ©s dans des contrariĂ©tĂ©s hurlantes, relevĂ©es de lumiĂšres zinguĂ©es toujours en dehors de la tonalitĂ© de l’étoffe, et Ă©clairant du violet avec des glacis jaunes et du vert avec des glacis blancs. Mais ne nous appesantissons pas sur la misĂšre du coloriste, Ă©tudions ce chef-d’Ɠuvre du dessin et de la composition, le Sursum corda du christianisme. Un Christ qui est un frater commun, sanguin et rose, peint, ainsi que disent les scoliastes du tableau, peint de couleurs pour le jour de l’autre vie, — montant pesamment au ciel, au bout de pieds de modĂšle ; un MoĂŻse et un Élie s’enlevant, en sa compagnie, avec des poings sur la hanche de danseurs, et rien lĂ , d’une fulguration, d’un rayonnement, d’une gloire, avec lesquels les moins imaginatifs des peintres essayent de faire le ciel des bienheureux. LĂ -dessous le Thabor, une colline ronde comme un dessus de pĂątĂ©, oĂč sont aplatis, et comme dĂ©sossĂ©s, trois apĂŽtres-marionnettes, de vraies caricatures de l’ahurissement ; puis en bas une incomprĂ©hensible mĂȘlĂ©e d’acadĂ©mies, de tĂȘtes d’expression Ă  copier dans les collĂšges, de bras aux brandissements tels qu’on les voit dans les tragĂ©dies de Saint-Charlemagne, d’yeux, oĂč un professeur bien appliquĂ© semble avoir mis le trait de force dans le point visuel. Dans tout cela, pas un atĂŽme du sentiment, qui, chez Simon Memmi, Filippo Lippi, Botticelli, Pietro di Cosima, enfin chez les plus petits primitifs, donnĂšrent Ă  ces scĂšnes, l’expression d’émotion recueillie, presque de componction, enfin de cette sainte placiditĂ© dans l’étonnement, angĂ©lisant, pour ainsi dire, les yeux de ceux qui assistent Ă  un miracle. Chez RaphaĂ«l la rĂ©surrection est purement acadĂ©mique, le paganisme y passe partout, y Ă©clate au premier plan, dans cette femme, un morceau de statue antique, en cet agenouillement de paĂŻenne Ă  laquelle l’Évangile n’a jamais parlĂ©, etc., etc., etc. Cela chrĂ©tien ! je ne connais pas de tableau dĂ©figurant le christianisme par une plus grosse image matĂ©rielle, et je ne connais pas de toile l’ayant reprĂ©sentĂ© dans une prose plus commune, dans un beau plus vulgaire. — Au fond, l’infĂ©rioritĂ© de la race italienne, je l’ai cherchĂ©e longtemps et je la trouve aujourd’hui c’est, de n’avoir pas de nerfs. On le perçoit dans une bien petite chose, l’absence de toute impatience pour la lenteur de tout ce qui se fait ici. 6 mai. — Penser qu’il n’y a jamais eu un paysagiste — et personne ne l’a remarquĂ© — un paysagiste depuis le Poussin et Claude Lorrain jusqu’à ce triste Benouville, qui ait eu l’idĂ©e de rendre les deux plus frappants, les deux plus visibles caractĂšres de cette campagne romaine ; la spĂ©cialitĂ© du bleu du ciel et le vert-de-gris particulier de la verdure du chĂȘne-liĂšge et de l’olivier. Au Vatican. Le Torse, le seul morceau d’art au monde gui nous ait donnĂ© la sensation complĂšte et absolue du chef-d’Ɠuvre. Pour nous, c’est au-dessus de tout, Ă  vingt mille pieds au-dessus de la VĂ©nus de Milo. Il nous confirme dans cette idĂ©e, dĂ©jĂ  instinctive en nous, que le suprĂȘme Beau est la reprĂ©sentation de gĂ©nie exacte de la Nature, que l’IdĂ©al qu’ont cherchĂ© Ă  introduire dans l’art, les talents infĂ©rieurs et incapables d’atteindre Ă  cette reprĂ©sentation, est toujours au-dessous du vrai. Oui, c’est le sublime divin de l’art que ce Torse qui tire sa beautĂ© de la reprĂ©sentation vivante de la vie, avec ce morceau de poitrine qui respire, ces muscles en travail, ces entrailles palpitantes dans ce ventre qui digĂšre — car c’est sa beautĂ© de digĂ©rer contrairement Ă  l’assertion de cet imbĂ©cile de Winckelmann qui croit relever et exhausser ce chef-d’Ɠuvre, en disant qu’il ne digĂšre pas. Le dĂ©couragement tombe de lĂ  sur tout ce qu’on a vu, comme un Ă©crasement. C’est l’Ɠuvre unique sortie d’une main d’homme, au delĂ  de laquelle on ne rĂȘve rien. 17 mai. — À bord de l’Hermus. Sur ma couchette, aprĂšs avoir lu du Joubert. Des pensĂ©es si fines, qu’elles ressemblent Ă  des ailes d’insectes dissĂ©quĂ©es. En somme Joubert est le La BruyĂšre du filigrane. 18 mai. — Marseille, c’est encore de l’Italie. Sur une affiche de pĂ©dicure se voit une apparition de la Vierge. Ce midi de notre France de l’Italie ratĂ©e. Dimanche 19 mai. — L’Italie finit par donner la nostalgie du ciel gris. La pluie en revenant semble une patrie
 Paris encore une fois. Vendredi 24 mai. — ThĂ©ophile Gautier, qui est dans ce moment maestro di casa, nous prĂ©sente Ă  la PaĂŻva, en son lĂ©gendaire hĂŽtel des Champs-ÉlysĂ©es. Une vieille courtisane peinte et plĂątrĂ©e, l’aspect d’une actrice de province, avec un sourire et des cheveux faux. On prend le thĂ© dans la salle Ă  manger, qui, en dĂ©pit de tout son luxe et de la surcharge de son mauvais goĂ»t renaissance, en dĂ©pit des sommes ridicules qu’ont coĂ»tĂ© ses marbres, ses boiseries, ses peintures, ses Ă©maux, et la ciselure de ces candĂ©labres d’argent massif venant des mines du Prussien entreteneur se trouvant lĂ , n’est au fond qu’un riche cabinet de restaurant, un salon des Provençaux pour millionnaires. LĂ -dedans, une conversation de gens gĂȘnĂ©s comme dans du faux monde et qui se traĂźne. Gautier, malgrĂ© son imperturbabilitĂ©, ne trouve pas dans cette maison son Ă©quilibre. Turgan, que nous voyons lĂ , pour la premiĂšre fois, cherche laborieusement des effets. Saint-Victor froisse et pĂ©trit son chapeau pour trouver des phrases. Et on sent tomber sur cette table magnifique, Ă©clairĂ©e de l’incendie des lustres, le froid spĂ©cial aux maisons de filles jouant la femme du monde, ce froid composĂ© d’ennui et de malaise, qui glace, dans les palais de la prostitution et les Louvres de la putinerie, le naturel et l’esprit des gens qui passent. Et cela est d’autant plus marquĂ© que le monsieur est un personnage allemand, muet et bellĂątre, un gandin de la Borussie, dominant la fĂȘte de sa raie au milieu de la tĂȘte, et d’un sourire diplomatique, et que la femme, au milieu de son effort de grĂące, a je ne sais quoi d’inquiĂ©tant d’une femme d’affaire en sa personne, avec des absorptions et des absences, oĂč on dirait que son attention vous quitte pour aller aux deux petits cabinets de sa chambre qui sont des coffres-forts de pierres prĂ©cieuses, — et qu’on croit deviner en la terrible implacabilitĂ© de son visage de blonde, un passĂ© qui fait peur. 27 mai. — Nous sommes dans une grande piĂšce au-dessus de l’okel de l’exposition Ă©gyptienne. Par les dentelles de bois des moucharaby, le soleil entre dans la salle et dĂ©coupe des rosaces lumineuses au-dessus des boĂźtes de momies et des sarcophages, sur lesquels sont piquĂ©s avec une Ă©pingle des morceaux de papier, oĂč sont inscrits, en leurs noms d’Égypte, la ligne paternelle et maternelle de ces morts et de ces mortes. Tout autour, sur des rayons de bois blanc, des tĂȘtes sĂ©chĂ©es, des crĂąnes ficelĂ©s avec des morceaux de chiffon ; des crĂąnes de toute couleur, les uns verts de la patine du bronze, d’autres, sous le soleil, tout suintants de bitume et de naphte ; d’autres noirs avec de petits morceaux carrĂ©s de feuilles d’or plaquĂ©s dessus, d’autres avec les belles pĂąleurs d’ivoire des vieux os et les grands creux d’ombre du vide des yeux. Et dans le tas, au milieu des fronts fuyants, un front renflĂ© de pensĂ©e et de sagesse, noblement socratique, et Ă  cĂŽtĂ©, une tĂȘte de femme toute dĂ©charnĂ©e, et qu’on rĂȘve avoir Ă©tĂ© belle, coiffĂ©e de la luxuriance d’une chevelure roussie et carminĂ©e ainsi que tous les cheveux que l’on voit, et dont la grosse natte, Ă  demi Ă©miettĂ©e, lui aveugle les yeux. En travers, jetĂ©e sur une table, la momie qu’on va dĂ©bandeletter. Tout autour des redingotes dĂ©corĂ©es. Et l’on commence l’interminable dĂ©roulement de la toile emmaillotant le paquet raide. C’est une femme qui a vĂ©cu, — il y a deux mille quatre cents ans, — et ce redoutable et si lointain passĂ© d’un ĂȘtre, dont nos regards commencent Ă  tĂątonner la forme, et dont on va violer l’infini sommeil, semble mettre, en la salle, en la curiositĂ© historique qui est lĂ , je ne sais quoi de religieux dans l’aviditĂ© de voir. On dĂ©roule, on dĂ©roule toujours, toujours, toujours, sans que l’empaquetage semble diminuer, sans qu’on sente, pour ainsi dire, s’approcher du corps. Le lin paraĂźt renaĂźtre et menace de ne jamais finir, sous les mains des aides qui le dĂ©roulent interminablement. Un moment, pour aller plus vite et pour dĂ©pĂȘcher l’éternel dĂ©piotage, on la pose sur ses pieds, qui cognent comme des pieds au bout de jambes de bois, et l’on voit tournoyer, pirouetter, valser Ă©pouvantablement, entre les bras hĂątĂ©s des aides, ce paquet qui se tient debout la Mort dans un ballot. On la recouche et on dĂ©roule encore. Les mĂštres de toile s’entassent, montent en montagnes, couvrent la table de ce linge, au joli ton de safran rouillĂ©, d’une toile qui n’a pas Ă©tĂ© blanchie, et des senteurs Ă©tranges se lĂšvent, des Ă©manations chaudes et poivrĂ©es d’aromates et de myrrhe funĂ©raire les odeurs de voluptĂ© noire du lit de la mort antique. Enfin, sous le dĂ©bandelettement, commence Ă  s’esquisser un peu de la forme humaine d’un corps. Berthelot, Robin, voyez cela ! » crie Mariette, — et d’un canif qui fouille l’aisselle, il fait sortir quelque chose qu’on se passe et qui semble une fleur qui a senti bon un petit bouquet plantĂ© par l’Égypte sous le moite du bras de ses mortes. Les derniĂšres bandes sont arrachĂ©es, la toile est Ă  son dernier bout, et voilĂ  un morceau de chair, il est tout noir, et fait presque un Ă©tonnement, tant on s’attendait, sous ce linge si bien conservĂ©, Ă  trouver la vie de la mort et l’éternitĂ© du cadavre gardĂ©e. Du Camp s’est prĂ©cipitĂ© avec une sorte de frĂ©nĂ©sie nerveuse au dĂ©pouillement du cou et de la tĂȘte. Tout Ă  coup, dans le noir du bitume figĂ© au bas du cou, reluit un peu d’or. Un collier ! » crie quelqu’un. Et avec un ciseau, dans le pierreux de la chair, Du Camp fait sauter une petite plaque en or, portant une inscription Ă©crite au calame, et dĂ©coupĂ©e en forme d’épervier. Puis on dĂ©tache encore un tout petit Horus et un gros scarabĂ©e vert. Mariette, qui s’est emparĂ© de la petite plaque d’or, dit que c’est une priĂšre de cette femme, pour la rĂ©union de son cƓur et de ses entrailles Ă  son corps, au Jour Ă©ternel. Les pinces, les couteaux enfiĂ©vrĂ©s descendent le long de ce corps dessĂ©chĂ©, qui sonne le cartonnage, dĂ©nudent cette poitrine et ce ventre aplatis, dĂ©formĂ©s, insexuels, sillonnĂ©s dans leur noirceur de taches rouges d’un sang cuit ; ils dĂ©pouillent ses bras collĂ©s au corps, ses mains, qu’un mouvement ankylosĂ© de pudeur, le mouvement mĂȘme de la VĂ©nus de MĂ©dicis, abaisse sur le pubis avec ses doigts aux ongles dorĂ©s. Une derniĂšre bande, arrachĂ©e de la figure, dĂ©couvre soudainement un Ɠil d’émail, oĂč la prunelle a coulĂ© dans le blanc, un Ɠil Ă  la fois vivant et malade, et qui fait un peu peur. Et le nez apparaĂźt camard, brisĂ© et bouchĂ© par l’embaumement, et le sourire d’une feuille d’or se montre sur les lĂšvres de la petite tĂȘte, au crĂąne de laquelle s’effiloquent des cheveux courts, qu’on dirait avoir encore la mouillure et la suĂ©e de l’agonie. Elle Ă©tait lĂ  cette femme ayant vĂ©cu, il y a deux mille quatre cents ans, elle Ă©tait lĂ , Ă©talĂ©e sur la table, frappĂ©e, souffletĂ©e du jour, toute sa pudeur Ă  la lumiĂšre et aux regards de tous. On causait, on riait, on fumait. Pauvre cadavre profanĂ©, si bien enterrĂ© et voilĂ©, et qui devait si parfaitement se croire sĂ»r du repos et du secret de l’inviolabilitĂ© Ă©ternelle, et que le hasard d’une fouille jetait lĂ , comme une crevĂ©e de notre temps, sur une table d’amphithéùtre, sans que personne, autre que nous deux, en ressentĂźt une profonde mĂ©lancolie. Le soir venu, nous avons vaguĂ© avec ThĂ©ophile Gautier, autour de ce grand monstre de choses, qu’on appelle l’Exposition. En cette Babel d’industrie, c’était comme une promenade dans un songe, oĂč un Ă©lĂšve de l’École centrale aurait montrĂ© Ă  Paris, inondĂ© du rendez-vous des peuples et de la fraternisation de l’Univers, un raccourci en liĂšge de tous les monuments de la terre
 Et peu Ă  peu les choses prenaient autour de nous un aspect fantastique. Le ciel du Champ-de-Mars revĂȘtait les teintes d’un ciel d’Orient ; le tohu-bohu des constructions du jardin silhouettait, sur le violet du soir, la dĂ©coupure d’un paysage de Marilhat ; les dĂŽmes, les kiosques, les minarets colorĂ©s mettaient dans la nuit parisienne les transparences reflĂ©tĂ©es de la nuit d’une citĂ© d’Asie ; le bƓuf gras empaillĂ© du boucher primĂ© FlĂ©chelle, blanchissait des blancheurs sacrĂ©es d’Apis. Et par moments, il nous semblait marcher dans une image peinte du Japon, autour de ce palais infini, sous ce toit avancĂ© comme celui d’une bonzerie, Ă©clairĂ© par des globes de verre dĂ©poli, tout pareils aux lanternes de papier d’une FĂȘte des Lanternes ; ou bien sous le flottement des Ă©tendards et des drapeaux de toutes les nations, il nous venait l’impression d’errer dans les rues de l’Empire du Milieu, peintes par Hildebrand dans son Tour du monde, sous les zigzags claquants de leurs enseignes et de leurs oriflammes. Vendredi 31 mai. — Pardon, je suis en retard
 c’est que le surtout de la table n’est arrivĂ© qu’à six heures, et le comte a voulu absolument le monter lui-mĂȘme. » C’est la PaĂŻva qui nous dit cela. Elle a une robe de mousseline, qu’elle dit lui avoir coĂ»tĂ© 37 francs, et 500 000 de perles au cou et aux bras. Nous sommes dans ce salon fameux, et qui ne vaut pas le bruit qu’il fait, au milieu de ces peintures faites et encore Ă  faire, destinĂ©es Ă  reprĂ©senter l’Assomption de la courtisane, et commençant Ă  ClĂ©opĂątre et finissant par la maĂźtresse de la maison aumĂŽnant des Ă©gyptiaques. Dans toute cette richesse, rien qui soit de l’art que le plafond de Baudry, un semis de divinitĂ©s un peu dĂ©liĂ©, un Olympe disjoint, mais d’une distinction de coloris dĂ©licieuse, et au milieu duquel se lĂšve une VĂ©nus hanchant sur sa belle cuisse gauche qui est, dans une riante apothĂ©ose de chair vĂ©ronĂ©sienne, une adorable acadĂ©mie. Le reste, une Ɠuvre de tapissier, sans un morceau du passĂ©, sans un meuble, une statue, un tableau, qui sauve une maison du tout neuf, et y met l’intĂ©rĂȘt et l’amusant de l’historique. On passe dans la salle Ă  manger et on dĂźne. Alors c’est l’exhibition du surtout, et c’est la bourgeoise invitation sans pudeur Ă  admirer cela, et Ă  toujours l’admirer. On n’en dit pas le prix, mais on dĂ©clare que chez tel fabricant il coĂ»terait 80 000 francs. Et il faut que chacun, le poing sur la gorge, accouche de son admiration, de son compliment, et le compliment, si gros qu’il soit, ne satisfait pas encore. Saint-Victor vante le talent du banal sculpteur de cela, de Carrier-Belleuse, ce pacotilleur du XIXe siĂšcle, ce copieur de Clodion. Il se vante de lui avoir fait obtenir cette annĂ©e la mĂ©daille de sculpture, s’indignant qu’on n’ait pas dĂ©corĂ© le modeleur du service
 Le dĂźner est bon, trĂšs bon, mais sans rien de ce qui Ă©tonne un estomac. La maĂźtresse de maison, je la regarde, je l’étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles Ă©paules se montrant par derriĂšre jusqu’aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relĂąchement des Ă©paulettes ; de gros yeux ronds ; un nez en poire avec un mĂ©plat kalmouck au bout, un nez aux ailes lourdes ; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. LĂ -dedans des rides, que la lumiĂšre, dans ce blanc, fait paraĂźtre noires, et, de chaque cĂŽtĂ© de la bouche, un creux en forme de fer Ă  cheval, qui se rejoint sous le menton qu’il coupe d’un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en Ăąge de son mĂ©tier, a cent ans, et qui prend, par instants, je ne sais quoi de terrible d’une morte fardĂ©e. Et pendant tout le dĂźner, dans un dialogue de la PaĂŻva avec son architecte et son comte, c’est un entonnement d’hosannah sur son hĂŽtel et toutes les choses de son hĂŽtel. AprĂšs le cafĂ© on s’assoit dans le petit jardin murĂ©, aux dessins de verdure de tapisserie, pareil Ă  un jardin de PompĂ©i, dans lequel arrivent, par bouffĂ©es sonores, la musique de Mabille, les quadrilles de la prostitution Ă  pied, venant expirer aux pieds de la fille, qui se vante d’avoir par jour 1 000 francs de loyer Ă  Paris et 1 000 de loyer Ă  Pontchartrain. Elle reste en ce jardin, presque nue, par le froid de la soirĂ©e qui nous gĂšle tous, dĂ©gageant autour d’elle la froideur d’un marbre, et manquant de l’éducation, de l’amabilitĂ©, de l’acquit, du tact, sans la douceur du charme, sans la caresse de la politesse, sans le liant de la femme, sans mĂȘme l’excitant de la fille, et sotte tout le temps, — mais jamais bĂȘte, et vous surprenant, Ă  tout moment, par quelque rĂ©flexion empruntĂ©e Ă  la vie pratique ou au secret des affaires, par des idĂ©es personnelles, par des axiomes qui semblent l’expĂ©rience de la Fortune, par une originalitĂ© sĂšche et antipathique qu’elle paraĂźt tirer de sa religion, de sa race, des hauts et des bas prodigieux de son existence, des contrastes de son destin d’aventuriĂšre de l’amour. 10 juin. — Lefebvre de BĂ©haine, chez lequel nous sommes allĂ©s passer quelques jours, cette semaine, disait, nous racontant sa mission Ă  Vienne, aprĂšs Sadowa Ce Bismarck, un homme Ă©tonnant ! Je l’ai trouvĂ© Ă  Brunn, le 13 juillet, Ă  deux heures du matin, dans son lit. Il avait sur sa table de nuit des bougies allumĂ©es et deux revolvers. Il lisait, et savez-vous ce qu’il lisait, l’HĂŽtel Carnavalet de Paul FĂ©val, oui l’HĂŽtel Carnavalet ! » Pendant que nous sommes chez lui, il se laisse aller Ă  nous conter le dĂ©tail de sa bizarre campagne, d’un avant-poste Ă  un avant-poste, tandis que sa femme nous fait voir ses mouchoirs de parlementaire avec les inscriptions Ă©crites Ă  l’encre. Il nous lit les lettres qu’il lui a Ă©crites, les gĂźtes, les couchers de la campagne, son dĂ©part de Nickolsburg, son passage au milieu des blessĂ©s arriĂ©rĂ©s et des cantiniers attardĂ©s, ses nuits dans les villes aux rues Ă  arcades, devenues un lit de paille pour la mort. Une curieuse lettre, est une lettre adressĂ©e Ă  son fils ĂągĂ© de six ans, oĂč il lui raconte, sur le ton de la plaisanterie, sa promenade de pĂ©kin dans tout ça, escortĂ© de son trompette prussien on ferait quelque chose de charmant de la guerre, ainsi contĂ©e par un pĂšre Ă  son enfant. Puis il nous parle de choses ignorĂ©es, d’une proposition de la Russie, effrayĂ©e des rĂ©sultats de la bataille de Sadowa, proposition, rĂ©pĂ©tĂ©e deux fois, de se donner franchement Ă  la France, mais Ă  la condition qu’on ne lui parlerait plus de la Pologne, offrant une alliance entiĂšre, et dĂ©clarant qu’il n’y avait que cette union des deux grandes puissances pour remettre l’équilibre en Europe, — dĂ»t cette alliance ne pas durer plus longtemps que les traitĂ©s de 1815, une cinquantaine d’annĂ©es, un laps de temps suffisant pour faire la gloire des deux souverains qui auraient signĂ© cette alliance. Mais M. de M
, agent de la Russie, demandait une conclusion immĂ©diate aux Tuileries. Solution, si elle avait Ă©tĂ© acceptĂ©e, capable de faire d’autres destins Ă  l’Europe, mais que repoussa au nĂ©ant des grandes choses enterrĂ©es, l’esprit temporisateur de l’Empereur et rĂ©tractile aux larges dĂ©cisions. 17 juin. — Berthelot nous disait Ă  Magny, que non seulement la France est le pays qui a le moins d’enfants, mais que c’est, par lĂ -dessus, celui qui a le plus de vieillards, et dont le chiffre est comme 100 Ă  58, relativement Ă  la Prusse. Il attribuait Ă  cela le ganachisme actuel. 24 juin. — Roqueplan que j’arrĂȘte dans la rue, et auquel je fais compliment de sa soliditĂ© et de sa rĂ©sistance physique, me dit Ah ! c’est que je n’ai jamais bu de mauvais vin. Il faut faire trĂšs attention Ă  ce qu’on prend et Ă  ce qu’on rend ! » Ce soir, aux Champs-ÉlysĂ©es des filles causaient prĂšs de moi sur des chaises Laisse donc, dit l’une, je suis franche. On fait huit cents francs. On vit avec trois, et on en place cinq cents Ă  la caisse d’épargne. » La basse prostitution prĂ©sente pourrait prendre comme enseigne Au Gagne-Petit. » — J’ai vu Ă  l’Exposition une horrible chose des couronnes d’immortelles en porcelaine. Souvenirs et regrets, voilĂ  que vous devenez une dĂ©pense une fois faite ! — Les fautes que les hommes d’État font sur le théùtre de la politique, ils les feraient comme hommes, en famille ou dans la sociĂ©tĂ©, qu’on les enfermerait. — Oh ! l’inconnu de Paris. On nous citait une femme gagnant une trĂšs grosse somme par jour, avec le talent qu’elle a seule d’enfiler un collier de perles c’est-Ă -dire d’assembler les perles, de les faire valoir l’une par l’autre, de les harmonier, de chercher pour ainsi dire leurs accords, sur des espĂšces de registres de musique en Ă©bĂšne. L’arrangement d’un collier, qu’elle cherche souvent toute une journĂ©e, lui est payĂ© de 60 Ă  80 francs. — À propos d’Hernani. Tristesse de songer qu’il faille quarante ans, presque un demi-siĂšcle, pour ĂȘtre autant applaudi qu’on a Ă©tĂ© sifflĂ©. 3 juillet. — Vichy. Cette vie avec ses bains, ses verres d’eau de demi-heure en demi-heure, ses petites promenades de l’hĂŽtel aux sources, le rĂšglement et les coupures de la journĂ©e, la discipline de la cure, dissipe un peu en nous le spleen abominable de nos derniers jours Ă  Paris, Ă  peu prĂšs comme la vie monastique devait suspendre l’ennui des grands ennuyĂ©s des siĂšcles passĂ©s. — Le directeur des eaux me disait qu’on vendait les chaises sur lesquelles l’Empereur s’était assis. Ainsi, il y a des gens pour adorer la place de ses hĂ©morroĂŻdes. Et nous nous moquons encore des peuples qui rendent un culte aux fientes du Grand Lama. — La race bourbonnaise, cette race du Centre, marquĂ©e Ă  tous les bons signes de la pauvretĂ© d’une province et de l’éloignement d’une capitale, race laide, rabougrie, a une caresse dans l’accueil et le service que je n’ai rencontrĂ©e nulle autre part. On dirait que les peuples ont les vices de leur beautĂ© et les vertus de leur laideur. 9 juillet. — Je lis ce matin que Ponsard est mort. Il restera l’immortel exemple de toutes les sympathies de la France pour la mĂ©diocritĂ©, et de toutes ses jalousies contre le gĂ©nie. Je ne lui vois guĂšre d’autre immortalitĂ© pour le sauver de l’oubli. 9 juillet. — Parc de Vichy. Sept heures et demie du soir. Une broussaille de genĂȘts, toute fleurie de jaune ; au-dessus de petits arbres, aux feuilles argentĂ©es, glacĂ©es de soleil couchant, et toutes emplies d’une illumination rose, et s’enlevant sur un ciel bleu si pĂąle qu’il semble blanc un coin de coucher de jour d’un tableau primitif, un Ă©ther angĂ©liquement pĂąle, plein de petits cris d’oiseaux qui volent si haut qu’on ne les voit pas, et aussi du rire d’une petite fille qu’on ne voit pas non plus, remplissant de sa gaietĂ© rieuse, le chalet oĂč elle court. — Tous les faiseurs de petits travaux d’art et d’histoire, tous les Chinois d’érudition que je connais, prennent un aspect chinois par le ventre et la graisse qui leur chinoise les yeux. 12 juillet. — Sur l’Allier. Une petite laveuse, les bras nus, le casaquin clair, un ruban couleur feu dans les cheveux pour toute Ă©lĂ©gance, de petits tĂ©tons ronds qu’on sent baller comme une paire de pommes, le corps libre, souple, m’a fait repasser devant les yeux la toilette matinale de peuple d’une ancienne maĂźtresse. — La musique au théùtre, au concert, ne me touche pas, je ne la sens un peu qu’avec le plein air et l’imprĂ©vu du hasard. — À faire notre CatĂ©chisme de l’art en aphorismes, et ne dĂ©passant pas dix pages. Comme summum du Beau absolu le Torse du Vatican. — Je trouve qu’autour de nous, de jour en jour, dans notre monde, le respect de la postĂ©ritĂ© diminue bien. La littĂ©rature chez les hommes de lettres que je vois, ne me semble plus qu’un moyen de mettre le gratis dans beaucoup de choses de la vie. C’est comme un droit Ă  un parasitisme n’apportant pas trop de dĂ©considĂ©ration. — Il n’y a que deux grands courants dans l’histoire de l’humanitĂ© la bassesse qui fait les conservateurs et l’envie qui fait les rĂ©volutionnaires. — Oh ! le SiĂšcle ! Un ami, qui n’est pas un imbĂ©cile, voulait me soutenir, ce soir, que c’étaient les JĂ©suites qui avaient fait faire des obscĂ©nitĂ©s aux Chinois. — Il est assez curieux que jamais un legs n’ait Ă©tĂ© fait Ă  l’auteur d’un livre, n’ait Ă©tĂ© fait par un mourant riche Ă  un esprit. Si jamais un Ă©crivain a hĂ©ritĂ© d’un lecteur, il a fallu que le lecteur le connĂ»t, le frĂ©quentĂąt, approchĂąt du corps de cet esprit. — Aujourd’hui seraient morts en bloc JĂ©sus-Christ, Socrate, Franklin, que les journaux ne seraient pas plus en deuil. Lambert Thiboust n’est plus. Il est question d’un monument, d’une colonne, d’un enterrement national. On cite du mort des traits de bontĂ© divine, comme d’avoir reconnu un ami dans la dĂšche, et s’il n’a fait toute sa vie que des cascades, c’est qu’il avait la pudeur des hautes aspirations Ă  la littĂ©rature, si ridicules dans ce siĂšcle, sans grands talents. En lui meurt la gaietĂ© de Paris, et dans tous les cafĂ©s, on voit les garçons s’essuyer les yeux du coin de leur tablier. — Avez-vous remarquĂ© que les femmes qui ressemblent physiquement Ă  vos maĂźtresses, ont une sympathie pour vous ? 20 juillet. — Il y a ici une espĂšce de gentilhomme, qui est un prestidigitateur, un sorcier avec ses mains commandant au visible et Ă  l’invisible, Ă©levant l’escamotage au merveilleux, et faisant voir ce que les dix doigts de l’homme peuvent rĂ©aliser du miracle. Cet A
 m’emmĂšne ce soir chez lui, pour voir une table machinĂ©e pour ses trucs, sur ses indications. Une petite chambre, oĂč il y a deux lits, tout encombrĂ©e de paquets vagues et couleur de misĂšre, au milieu desquels reluisent les dorures de la table. LĂ -dedans une femme, Mme A
, me dit-il, une espĂšce de paysanne ; deux caniches crottĂ©s, ses aides en train de fouiller le dessous du lit ; et sur le marbre d’un chiffonnier, une pauvre colombe, habituĂ©e Ă  ĂȘtre escamotĂ©e, immobile et qui semble de bois. Et le gentilhomme disparaĂźt
 Je ne vois plus dans cet intĂ©rieur de bohĂšme, dans cette chambre de faiseur de tours aux chiens savants de Stevens, que le campement d’un saltimbanque en chambre. Dimanche 21 juillet. — Puissant, sur lequel nous sommes tombĂ©s ici, oĂč il fait le Programme de Vichy, nous amĂšne VallĂšs, dĂ©barquĂ© ce matin du train de plaisir, en paletot d’hiver, gesticulant de la canne, parlant haut, et avec son accent bon garçon auvergnat, ayant l’air de crier VallĂšs est dans vos murs ! » On improvise une partie de pĂȘche. On part, la Madeleine, Burty, une chanteuse, la Gonetti, une fille toute ronde, qui a mis avec bonheur de gros souliers pour la partie de campagne. La partie ne sourit plus Ă  VallĂšs, qui demande un endroit, oĂč l’on puisse manger une grillade de porc, arrosĂ©e de vin blanc. On l’entraĂźne vers le Sichon
 Il marche bougonnant, en demandant le frigus opacum, en jetant dans la verdure des mots du cafĂ© des VariĂ©tĂ©s. Il hĂšle, Ă  travers les champs, une vache Superbe, la vache de FĂ©nelon ! » Cela, mĂȘlĂ© de paroles amĂšres, de paradoxes sauvages, de rampements amoureux sur l’herbe vers la jupe de la diva. Puis il blasphĂšme spirituellement et drolatiquement Hugo, et redemande de la grillade. 22 juillet. — Ce soir Burty revient Ă  l’hĂŽtel s’habiller pour un bal. Il entre chez nous, se met Ă  causer de son pĂšre, du premier Empire, allume un cigare, et pris par l’intĂ©rĂȘt de ce qu’il raconte, par le souvenir du passĂ© et de la famille, nous fait toucher les changements survenus dans les habitudes, les mƓurs, le train de vie de la bourgeoisie marchande. Aujourd’hui les Delisle, les Cheuvreux-Aubertot ont des chĂąteaux, avec le luxe, la chasse, tout le tra la la de l’aristocratie. Dans le temps, dont il nous parle — et remarquez qu’il n’y a pas plus de cinquante ans, — le premier marchand de soieries qui Ă©tait son pĂšre, louait, l’étĂ©, une maison de campagne de 300 francs Ă  Groslay, et la grande distraction du dimanche pour les invitĂ©s et les grands commissionnaires amĂ©ricains et russes, Ă©tait l’achat, pour 12 francs, d’un cerisier dans la campagne, d’un cerisier que la sociĂ©tĂ© mangeait sur pied. — Jamais un homme, si riche qu’il soit, n’achĂštera un bel enfant, une belle petite fille, pour avoir sous les yeux un chef-d’Ɠuvre de nature, de l’art de Dieu. Il prĂ©fĂ©rera toujours acheter un tableau, une statue, quelque chose que l’on revend, et oĂč on retrouve sa mise. — Table d’hĂŽte de l’hĂŽtel de Madrid Ă  Vichy. Au bout de la table, en haut, un mĂ©nage d’origine mexicaine, d’insulaires venus d’une Canarie quelconque la femme, une vraie femelle avec une tĂȘte de bonne singesse, une peau cafĂ© au lait, les bras comme des antennes de sauterelles, des gestes pour dĂ©couper qui lui retournent les mains Ă  la façon de pattes, horriblement maigre, sĂ©chĂ©e, ratatinĂ©e sous son chĂąle de petite fille, couleur caca d’oie, et attachĂ© Ă  son cou par une immense plaque, remplie par la photographie de son mari ; on croirait voir une contemporaine de Montezuma, exhumĂ©e de ces cruches mexicaines, oĂč l’on empote les morts. À cĂŽtĂ© une espĂšce de vieux petit mayeux bordelais, le menton dans son assiette, au fausset inouĂŻ, aux notes comiques de casse-noisette, le soprano du gazouillement, et sa femme, une figure qui fait penser Ă  la Reine des Merlans dans une fĂ©erie. AprĂšs un jeune Hollandais et sa mĂšre, tous deux juifs, tous deux comme Ă©clairĂ©s par le reflet du soleil des juifs, la piĂšce d’or derriĂšre le grillage des changeurs ; le jeune homme, un brun Ă  barbe noire et Ă  lunettes, promenant Ă©ternellement, dans les escaliers de l’hĂŽtel, le cylindre d’un clysopompe ; la vieille femme, Ă  laquelle on ne sait quel passĂ© donner de marchande Ă  la toilette ou de brocanteuse de chair humaine, possĂ©dant des restes de beautĂ© diabolique, et ayant dans le cernĂ© de son vieil Ɠil, l’apparence d’un sourire de jouissance, mĂȘlĂ© Ă  je ne sais quelle profondeur de coquinerie. La nourriture l’excite, et, Ă  la fin des repas, se renversant Ă  demi sur sa chaise, comme sur un canapĂ©, et branlant un peu la tĂȘte, elle a des chantonnements d’harmonica fĂȘlĂ©, des notes cassĂ©es d’échos de musicos. Puis toute la palette des teints de jaunisse et de la bile dans le sang, depuis la pĂąleur hĂ©patique jusqu’au bronze vert, depuis le bronze vert jusqu’à la jaunisse nĂšgre, et des tĂȘtes de femmes, oĂč la maladie de foie semble avoir dĂ©veloppĂ© une rĂ©pugnante pilositĂ©. LĂ -dedans, une jeune chlorotique Ă  marier, assidue aux sources ferrugineuses de Mesdames, un bubon en deuil, dont la mĂšre, dans sa grossesse, semble avoir eu un regard d’une caricature idiote de Grandville. Puis deux Anglais, deux Anglais du Palais-Royal l’un, le neveu, capitaine aux Indes, Ă  l’abominable tĂȘte d’artiste, Ă  la barbe en queue de vache, au front de lĂ©zard, Ă  la raie mĂ©diane d’un modĂšle pour JĂ©sus-Christ, et se livrant tout le temps Ă  des calembours internationaux. L’oncle, lui ! ressemble Ă  un commodore jouĂ© par Odry, avec ses cheveux et ses favoris lui mangeant la figure Ă  la façon de deux perruques, avec ses yeux de taupe, ses cravates de Mazulipatam ; et les bijouteries qui le sillonnent, en serpentant, font de lui comme le Laocoon des chaĂźnes de montre. Nos yeux, au milieu de tout ce monde, ne se reposent et ne se consolent que sur une famille espagnole au grand complet la grand’mĂšre, la mĂšre et trois petites filles. La grand’mĂšre, l’aĂŻeule avec ses cheveux gris, la ligne de blancheur de sa collerette, l’engoncement solennel dans le satin noir de sa robe montante, sa carnation ressemblant Ă  une Ă©bauche grasse et beurrĂ©e, de VĂ©lasquez, en sa coloration violette aux glacis argentins. Et elle semble entourĂ©e des petites infantes du maĂźtre, assises Ă  cĂŽtĂ© d’elle, de ces petites senoritas, la raie de cĂŽtĂ©, les cheveux piquĂ©s du rouge d’un ruban ou d’une fleur de grenadier, le sourcil tressaillant, le front bossuĂ©, le teint chaudement pĂąle avec la tache de fard de leurs joues, un vermillonnement Ă  la Goya. — Je les voyais tout Ă  l’heure dans le jardin, les petites senoritas, vives comme le vif-argent, et dĂ©jĂ  jambĂ©es de mollets de danseuses, petites-filles des fameuses saltatrices gaditanes. Et autour de ce monde de tous visages et de toutes langues, tournent les trois automates du service, la maĂźtresse d’hĂŽtel, une Auvergnate Ă  mine de misĂšre, montrant sur elle la dĂ©solation d’une porteuse d’eau qui a renversĂ© ses seaux, un petit domestique moyenĂągeux, une espĂšce de varlet drolatique, arrivĂ© tout ahuri de la charrue, les cheveux en essuie-plume, et la bouche riante montrant des dents en scie, enfin une pauvre petite bonne, au cou maigre de poitrinaire, aux omoplates perçant sa robe Ă©troite, aux lobes d’yeux des priĂšres d’Overbeck, marchant Ă©ternellement sur des pieds, comme morts de fatigue. — Quelle misĂšre de rouleuse, sous le costume de la chanteuse ambulante un chapeau de paille noir avec un coquelicot, un canezou marron, une jupe violette Ă  carreaux, troussĂ©e sur un jupon noir, et la bretelle de sa guitare sur l’épaule. Elle a la figure grise des pauvres. Et une voix, sortant de cette guenille, une voix d’un voyou qui muse, chante C’est la vĂ©ritĂ© pure, Vous qu’avez bon cƓur, Plaignez une crĂ©ature, Q’az-Ă©vu des malheurs ! Et la crĂ©ature crache. — Un chalet d’opĂ©ra-comique et de vaudeville, sur le balcon duquel on s’attend toujours Ă  voir des groupes chanter une ronde, comme au théùtre, en levant au ciel des flĂ»tes de champagne ; un jardin qui n’est presque qu’une salle Ă  manger en treillage, avec des mĂ©daillons de cĂ©lĂ©britĂ©s en terre cuite, fouillĂ©s par Carrier-Belleuse c’est le chalet de l’administrateur des eaux, C
, une maison dont on tourne sans cesse le bouton de cuivre, maison toujours mangeante, chantante, recueillant au passage toutes les notoriĂ©tĂ©s, et toutes les voix jeunes et vieilles hier les frĂšres Lionnet, aujourd’hui le vieux Tamburini ! Un type, ce C
, l’administrateur moderne, le crĂ©ateur du jour, l’Haussmann d’ici. Tout dans la main les eaux, les bains, l’exploitation de toutes les sources du Casino, le théùtre, les concerts, l’imprimerie et le journal, et un monde d’ouvriers, depuis les maçons jusqu’aux cartonniers des boĂźtes de pastilles, un monde de six cents manƓuvres, hommes et femmes. Les paysans l’appellent NapolĂ©on IV. L’homme, un enragĂ© d’activitĂ©, mais un peu brouillon, comme tous les trop actifs, et un touche-Ă -tout tyrannique. Bon enfant, mais un hĂŽte Ă  l’hospitalitĂ© Ă  brĂ»le-pourpoint, et quelquefois sans tact, et dur de paroles aux infĂ©rieurs
 Au physique, l’Ɠil clair, le nez Ă  l’arĂȘte sĂšche, sanguin, sensuel, dentĂ© pour mordre au plaisir
 et par lĂ -dessous toujours Ă  son affaire, faisant servir tous ceux qu’il reçoit Ă  quelque chose, tirant de ses hĂŽtes une idĂ©e, une rĂ©clame, une utilitĂ© des plans Ă  l’architecte, un premier-Vichy au littĂ©rateur, et plaçant Ă  intĂ©rĂȘt tous ses dĂźners. En somme, pratique en tout, avec la science de la vie et quelques goĂ»ts distinguĂ©s de l’homme moderne, ayant un pantalon de nuance distinguĂ©e, un merveilleux chien d’Écosse, un break de Binder, — enfin entourĂ© de cette espĂšce d’aristocratie des choses, dont les parvenus d’aujourd’hui arrivent parfois Ă  s’envelopper, sans la mettre en eux. Une maison, pendant toute la saison de Vichy, une maison d’allants et de venants, oĂč les honneurs sont faits par les M
 un curieux mĂ©nage de nomades de la sociĂ©tĂ©, ne dĂźnant jamais chez eux Ă  Paris, et tout l’étĂ© se partageant entre des maisons de campagne d’amis le mari, le chanteur comique, Ă  la tĂȘte de capucin de la chansonnette, avec son front d’ivoire, ses sourcils d’astrakan, ses yeux et son rire de poussah ; la femme, une trĂšs gracieuse et aimable femme. LĂ , passent des femmes dĂ©classĂ©es, des femmes du monde qui n’y ont plus guĂšre qu’une jambe, des pianistes femelles qui semblent revenues de partout, et qui dans des robes noires, qui ressemblent Ă  du papier brĂ»lĂ©, regardent avec la philosophie de la vieillesse de la femme laide, l’amour qui se fait dans les coins ; et en fait d’hommes, beaucoup de messieurs de toute espĂšce, Ă©normĂ©ment d’architectes, et le dernier prix de Rome de paysage, le dernier, dieu merci, un peintre qui fait estimer le gĂ©nie de ThĂ©not. Dimanche 28 juillet. — Clermont. À l’hĂŽtel, une chambre aux rideaux de fenĂȘtres couleur de pĂąte d’abricot, au canapĂ© de fausse moquette suspecte, aux descentes de lit pouilleuses ; — et le matin sur tout le corps des ampoules semblables Ă  des boĂźtes de montres. Nous prenons l’omnibus pour Royat, un coin de Suisse, gĂątĂ© et violĂ© par une Ă©cole de tapins qui jouent du tambour sous les chĂątaigniers, et par l’horreur d’un dimanche auvergnat. Le village pĂ©trifiĂ©, avec des silhouettes d’autochtones Ă©tagĂ©s sur leurs escaliers et finissant Ă  un chien idiotisĂ© sur la derniĂšre marche une population sans rire, sans voix, muette, concentrĂ©e. Retour Ă  Clermont. Nous battons la ville. À peine un passant. La tristesse plate et dominicale de la province, Ă  laquelle s’ajoute ici le deuil de l’horrible pierre du pays, la pierre ardoisĂ©e de Volvic qui ressemble Ă  ces pierres de cachot, dans les dĂ©cors de cinquiĂšme acte des drames du boulevard. De temps en temps, un campo qui conseille le suicide, une petite place aux petits pavĂ©s pointus, entre lesquels pousse l’herbe d’une cour de sĂ©minaire, et oĂč les chiens bĂąillent en passant. Une Ă©glise, la cathĂ©drale des charbonniers, noire au dehors, noire au dedans ; un tribunal, un temple noir de la Justice, un OdĂ©on de la loi, acadĂ©miquement funĂšbre, et d’oĂč l’on tombe sur une promenade, oĂč les arbres maigrissent d’ennui dans une grande ombre moisie. Toujours et partout, ces fenĂȘtres et ces portes encadrĂ©es de noir, ainsi que des lettres de faire-part mortuaires. Et sempiternellement Ă  l’horizon, cet Ă©ternel Puy de DĂŽme, dont le cĂŽne bleuĂątre ressemble si Ă©piciĂšrement Ă  un pain de sucre, enveloppĂ© de son papier. À la fin, nous nous sommes assis sur un banc moussu, tumulaire, devant des façades qui avaient les mĂ©lancolies des bords de canal, peints par Pierre de Hooghe, recelant des vieilles en chapeau de paille de mendiantes sur la tĂȘte, et qu’on eĂ»t dit peintes par un Memling du fouchtra. À l’hĂŽtel, en rentrant, notre chambre nous paraĂźt d’une saletĂ© plus menaçante, et le lion reprĂ©sentĂ© sur nos descentes de lit, plus triste et plus mangĂ© de vermine que le matin. La peur nous prend, et nous nous sauvons de l’Auvergne. 29 juillet. — Retour Ă  Paris. 3 aoĂ»t. — Saint-Gratien. Eudore SouliĂ© dĂ©clarait aujourd’hui trĂšs justement qu’il y avait deux Sainte-Beuve le Sainte-Beuve de sa chambre d’en haut, du cabinet de travail, de l’étude, de la pensĂ©e, de l’esprit ; et un tout autre Sainte-Beuve le Sainte-Beuve du rez-de-chaussĂ©e, le Sainte-Beuve dans sa salle Ă  manger, en famille, au milieu de la manchote sa maĂźtresse, de Marie sa cuisiniĂšre et de ses deux bonnes. Dans ce milieu bas, Sainte-Beuve devient un petit bourgeois, fermĂ© Ă  tous les grands cĂŽtĂ©s de sa vie d’en haut, une espĂšce de boutiquier en goguette, l’intellect rapetissĂ© par les ragots, les Ăąneries, les rabĂąchages imbĂ©ciles des femmes. 5 aoĂ»t. — La princesse fait ordinairement, aprĂšs dĂ©jeuner, des promenades oĂč elle jette comme la dictĂ©e de ses pensĂ©es. Aujourd’hui elle crache ses amertumes Ă  propos de l’ingratitude des artistes, au sujet de X
 et de Y
, qu’elle accuse d’avoir menĂ© toute l’intrigue, pour empĂȘcher la premiĂšre mĂ©daille d’HĂ©bert. Elle rappelle tout ce qu’elle a fait pour eux. Et elle s’étend Ă©loquemment sur la peine qu’elle a eue Ă  donner le goĂ»t de l’art Ă  l’Empereur et Ă  l’ImpĂ©ratrice, Ă  imposer la mode de la peinture et des peintres Ă  la sociĂ©tĂ©, si bien, dit-elle, qu’aujourd’hui tout le monde a son artiste
 Mon avouĂ© a son peintre c’est Corot
 Positivement. » Puis changeant de sujet Moi je n’ai jamais fait mon chemin avec l’Empereur, parce que je vais tout droit
 On ne m’a jamais prise dans des tripotages, jamais, jamais !
 On n’a jamais pu faire de moi, de ces gens qui pleurent, et se font payer leurs dettes, tous les six mois
 » Cela sort d’elle avec une indignation et une montĂ©e de sang qui lui empourprent le teint. Puis elle nous promĂšne dans le chĂąteau, nous faisant voir sa chambre, son cabinet, tout pleins de lumiĂšre ensoleillĂ©e, et tout amusants d’un encombrement de petits meubles Ă  ses goĂ»ts, de commodes de petites filles et d’armoires pour les gĂąteaux de ses chiens. Elle nous dit, heureuse de nous montrer toutes ses chambres d’amis, qu’elle n’a qu’un plaisir, c’est d’avoir du monde, c’est de vivre au milieu de gens qui lui sont sympathiques et qu’elle aime, qu’elle aurait bien pu, si elle avait voulu, faire des choses extraordinaires, des monuments, des palais de financiers, mais qu’elle aime bien mieux sa perse avec de vieux amis assis dessus. Il faut un ou deux jours pour rentrer dans la pleine intimitĂ© de sa connaissance et retrouver la caresse de sa parole le cher » au lieu de monsieur ». Son amitiĂ© qui n’oublie pas, s’échauffe pourtant avec la prĂ©sence des gens. J’ai remarquĂ© chez la princesse un goĂ»t de toilette, particulier le goĂ»t du ton ; ses robes sont toujours des robes de coloriste. 8 aoĂ»t. — Nous passons chez Sainte-Beuve. Une particularitĂ©, et qui indique et signifie bien l’essence dĂ©mocratique de cet homme c’est la toilette intime de son chez lui la robe de chambre, le pantalon, la chaussette, la pantoufle, tout le lainage peuple qui lui donne l’aspect d’un portier podagre. AprĂšs avoir passĂ© par tant de milieux, Ă©lĂ©gants, distinguĂ©s, il n’a pu s’élever Ă  la tenue d’un vieillard du monde, Ă  l’enveloppe honorable de la vieillesse chez elle. Il nous a longuement contĂ© toute son affaire du SĂ©nat, et toute la grosse popularitĂ© qu’elle lui avait faite. Et involontairement, pendant qu’il parlait, nous pensions comme un seul article d’une plume amĂšre et vraie, un coup d’épingle de sincĂšre honnĂȘte homme dĂ©gonflerait ce ballon de blague d’un martyr Ă  trente mille francs de traitement, — un article oĂč l’on rappellerait que, seul parmi les lettrĂ©s, ce Sainte-Beuve a Ă©tĂ© l’écrivain qui, en 1852, pendant la terreur blanche de l’écriture littĂ©raire, lors de notre poursuite en police correctionnelle, lors de la poursuite de Flaubert, en ce temps du silence, de la servitude universelle, a Ă©tĂ©, on peut le dire, le souteneur autorisĂ© du rĂ©gime. Et ce serait amusant de rappeler que c’est l’émargement qui a Ă©tĂ© son illumination et sa conversion Ă  la libertĂ©, et que son courage ne lui est venu qu’avec son traitement d’inamovible et ces palmes de sĂ©nateur, gagnĂ©es Ă  servir avec de la mauvaise foi de prĂȘtre, toutes les viles rancunes du 2 dĂ©cembre. En sortant de chez Sainte-Beuve, nous entrons chez Michelet. Nous le trouvons assis sur son petit canapĂ©, les mains sur les cuisses, dans une pose d’idole, avec un sourire extatique sur la figure. Il nous parle de Rousseau qu’il nous dit n’avoir fait quelque chose, que parce qu’il ne pouvait, un moment, ni avancer ni reculer, qu’il Ă©tait rĂ©duit au dĂ©sespoir. Ainsi de Mirabeau
 Et il se met Ă  nous faire une loi providentielle de ces extrĂ©mitĂ©s du destin des grands hommes, de ce cul-de-sac de malheur, oĂč ils sont obligĂ©s de se jeter Ă  la mer. Il termine en disant Il y a un joli mot d’émigrant lĂ -dessus il faut arriver en AmĂ©rique noyĂ© sur une planche, l’homme qui y dĂ©barque avec une malle n’y fait rien. » 13 aoĂ»t. — Saint-Gratien. Une journĂ©e splendide et torride. On dresse la table dans le jardin ce qui donne toujours Ă  un dĂźner l’air d’un dĂźner de théùtre. Puis la nuit descendue, tout le monde roule en voiture ; et l’on vague dans du clair de lune, qui transfigure tout ce pays de Montmorency, en un rĂȘve de paysage parisien. L’on passe par la vaporeuse fraĂźcheur du Bois-Jacques, et l’on revient au lac, inondĂ© de lumiĂšre argentine dans le rideau de ses arbres tout noirs. Et les uns sur les bateaux, les autres sur des pĂ©rissoires, semant le lac d’éclairs, en coupant de la rame ou des palettes l’eau scintillante, Ă©voquent dans cette banlieue un souvenir d’un lac de cette Italie, dont la langue revient en musique, sur les lĂšvres des hommes et des femmes. — Des hommes sont tentĂ©s par la mort comme par une derniĂšre aventure. — Il n’y a que les domestiques qui savent reconnaĂźtre les gens distinguĂ©s. — Un cĂŽtĂ© caractĂ©ristique des mĂ©nages troubles ce sont ces froids qui tout Ă  coup tombent dans l’intimitĂ©, en prĂ©sence de tiers, ces absences de la femme qui chantonne en se livrant Ă  un battement nerveux d’un pied sur un barreau de chaise, cette ombre qui vient sur le front du mari, enfin tout ce qui vous donne envie de vous en aller. Et l’on se trouve gauche et gĂȘnĂ©, et l’on sort avec une tristesse faite de ce mystĂšre de choses inconnues, de tous les sous-entendus qu’on sent et qu’on tĂątonne dans ces mĂ©nages, sur lesquels on cause. AoĂ»t. — Trouville. Heilbuth nous emmĂšne le voir laver une aquarelle Ă  Honfleur. Un drĂŽle d’ĂȘtre, dĂ©cousu, braque, et trĂšs fin et dĂ©licat et mĂ©phistophĂ©lique observateur, avec son nez crochu et son Ɠil clair d’Allemand du Nord. 27 aoĂ»t. — DĂ©goĂ»t ici de cette sociĂ©tĂ© d’anonymes. Nous souffrons maintenant au coudoiement de populations d’inconnus et de bourgeois vagues. — Les Ă©trangers parlent haut en public, ils ont la conscience de parler une langue qu’ils sont seuls Ă  comprendre. Le Français parle bas, parce qu’il se sait compris de tous, et parler la langue universelle. 30 aoĂ»t. — Aujourd’hui nous accompagnons Feydeau sur la falaise. Il est dans le moment toquĂ© de conchyologie qu’il veut fourrer dans un roman, et il va travailler Ă  ramasser dans la glaise toutes sortes de coquilles antĂ©diluviennes, passant des quatre heures en plein soleil, avec son panier, son marteau et son ciseau Ă  froid, et accompagnĂ© de son fils, un petit blondin aux cheveux de la nuance du chanvre, le ventre couvert d’un tablier de cuir, qui en fait comme un Amour en sapeur. Feydeau a toujours une vanitĂ© ingĂ©nue qui lui sort de tous les pores, mais tout Ă  fait inoffensive. Il nous conte, du plus grand sĂ©rieux du monde, qu’il Ă©prouve un certain ennui de finir son roman, tant il est attachĂ© Ă  ses personnages
 Au milieu du dĂ©veloppement de son ennui, un coup de sifflet dans la falaise c’est Mme Feydeau qui arrive avec un pliant, toute charmante en sa fleur de beautĂ©, et dĂ©licieusement coiffĂ©e d’une de ces coiffures du Directoire, qui ont l’air d’en faire une fille de Mme Tallien. 3 septembre. — Entre nous deux, il n’y a pas d’autre froissement, d’autre choc de nervositĂ© agacĂ©e, que ceux produits par l’angoisse souvent dĂ©sespĂ©rĂ©e de la carriĂšre littĂ©raire et de la production du livre. Cela nous jette dans des tristesses irritĂ©es contre nous-mĂȘmes, et qui rejaillissent quelquefois, de l’un sur l’autre, en mutuelle amertume. Cela arrive, quand le travail ne va pas, quand il y a de l’impuissance Ă  rendre ce que l’on sent, et d’atteindre Ă  cet idĂ©al qui va toujours dans les lettres, en s’élevant et en se reculant de votre plume. Alors de mornes dĂ©sespoirs, oĂč dans le pessimisme momentanĂ© qui pousse les choses Ă  l’extrĂȘme, il y a des tentations de suicide
 et c’est une revue rageuse, dont on s’empoisonne l’ñme, de tout ce que, tous deux, nous avons eu de dĂ©nis de justice, de mauvaises chances, d’échecs, de faillites du succĂšs, tombant au milieu de cet Ă©tat maladif qui ne nous laisse pas un jour sans la souffrance de l’un de nous ou l’inquiĂ©tude de la souffrance de l’autre. 4 septembre. — Nous ouvrons, au dĂ©jeuner du Bras-d’Or, une lettre de la princesse l’aĂźnĂ© de nous deux, est nommĂ© chevalier de la LĂ©gion d’honneur. Comme toutes les joies, celle-ci arrive incomplĂšte, et le dĂ©corĂ© est trĂšs embĂȘté  Quelque orgueil pourtant de cette dĂ©coration, qui aura cette raretĂ© de n’avoir Ă©tĂ© ni demandĂ©e, ni sollicitĂ©e mĂȘme par un mot, une allusion, mais arrachĂ©e par une amitiĂ© qui y a pensĂ© toute seule, et des sympathies d’inconnus
 — Il me revient, ce mot de Sainte-Beuve, que me rapportait de lui, l’autre jour, SouliĂ© C’est du dĂźner Magny que sort mon discours du SĂ©nat. » Et c’est vrai ! Le dĂźner Magny aura Ă©tĂ©, en dĂ©pit de quelques empĂȘcheurs, un des derniers cĂ©nacles de la vraie libertĂ© de penser et de parler. 5 septembre. — Monologue d’un bourgeois devant l’ocĂ©an La mer est silencieuse et trop loin
 Il y a vingt-cinq ans, la mer se retirait moins loin
 l’espace est monotone, si on n’a pas le flot
 et le flot, on ne l’a que deux heures avant et deux heures aprĂšs en tout quatre heures, c’est dĂ©jĂ  quelque chose
 Mais c’est monotone
 du reste ça m’est parfaitement Ă©gal
 » 8 septembre. — En voyant une mĂ©duse Ă  moitiĂ© dessĂ©chĂ©e sur la plage, je me demandais si la mort dans les animalitĂ©s vĂ©gĂ©tantes de la vie infĂ©rieure ne serait rien qu’une insensible cessation de vivre, et si la douleur de la mort, montant l’échelle animale, et s’aggravant Ă  chaque Ă©chelon de l’organisme et de l’intelligence, ne rĂ©serverait pas Ă  l’homme seul, toute la cruautĂ© et toute la souffrance de la conscience de mourir. 15 septembre. — Saint-Gratien. On causait ce soir des puissances et des effets de la transmission du sang. Viollet-le-Duc parlait de gestes d’enfant qui dĂ©noncent le pĂšre, le nomment presque, et il soutenait qu’un cocu philosophe, qui Ă©tudierait la question, pourrait, sans se tromper, reconnaĂźtre dans le cercle de ses amis et de ses connaissances, le pĂšre de son enfant. Au milieu de la conversation, une femme de dire J’ai une bien jolie histoire lĂ -dessus. Une dame de ma connaissance accouche d’un enfant qui avait deux doigts du pied palmĂ©s. Le soir je rencontre un monsieur que je savais avoir cette infirmitĂ©, et qui n’était pas du tout du monde de la dame. En le plaisantant, je lui fais mes compliments, le pousse un peu
 ma foi, il avoue ! » Ce soir, la princesse a une toilette charmante. Sur une robe dĂ©colletĂ©e de soie cerise qui lui laisse les Ă©paules et les bras nus, une enveloppe de dentelle noire jette le filigrane noir de ses ramages sur le rose de la peau, et la splendeur d’un collier Ă  sept rangs de perles se dĂ©tache, en leur luminositĂ© nacrĂ©e, d’une cravate de dentelle noire qui s’y emmĂȘle. 16 septembre. — HĂ©bert travaille au portrait de la princesse, que nous lui avons vu fusiner avant de partir un portrait de la princesse en buste, dans le joli format restreint des petits portraits d’Holbein, un portrait intime, qui doit ĂȘtre gravĂ© de la mĂȘme grandeur pour les amis. HĂ©bert peint ce portrait avec des pinceaux fins, fins, et presque pas du tout chargĂ©s de couleur, miniaturant et miniaturant le soupçon de ton qu’il pose. Pendant ce, SouliĂ© lit le Cadio de Mme Sand dans la Revue des Deux Mondes, le prince Gabrielli, qu’on appelle ici le prince Charmant, brunit les duretĂ©s d’une eau-forte, reprĂ©sentant le profil de sa femme, qui, dans la berceuse, paressant, et inoccupĂ©e, et joliment boulotte, rappelle la Doudou de Byron. De la comtesse Primoli, se tenant au fond de l’atelier, on voit la raie nette dans ses beaux cheveux noirs, et un bout de front penchĂ© sur un livre. La muette Mme Benedetti s’arrĂȘte de temps en temps dans sa tapisserie, et prend un repos, avec un regard vague devant elle. Le gros Primoli passe, jetant une Ă©grillardise dissimulĂ©e dans de l’italien, et s’en va. Mais voici le maire de Saint-Gratien arrivant, accompagnĂ© de Charles Blanc, qui dĂ©roule et lit un factum contre le chemin mortuaire d’Haussmann. La princesse s’anime, fulmine, devient rouge
 HĂ©bert continue Ă  donner, du bout de ses longs et fins pinceaux, des caresses, au visage furieux de la princesse. Et les heures passent. Mardi, 17 septembre. — En flĂąnant dans les serres de Saint-Gratien, nous pensions Ă  tout ce que ces plantes originales pourraient apporter d’imagination crĂ©atrice Ă  l’industrie, Ă  la mode. Quelle source de renouvellement pour nos soieries de Lyon ! Quelle rĂ©volution Ă  faire dans l’acadĂ©mique des dispositions d’étoffes, dans cette abominable gĂ©omĂ©trie, de notre goĂ»t. Ici, quelle fantaisie, quel imprĂ©vu de taches et de couleurs. C’est le naturisme heureux et libre, et sans rĂšgle pĂ©dante, de l’art chinois, de l’art japonais, de ces arts calomniĂ©s comme arts fantastiques et qui n’ont besoin que de cueillir une feuille, que je vois lĂ -bas, pour en faire, sous les doigts d’un ouvrier de Yedo, la plus ravissante des coupes. Retour ce soir. Des voyous en gaĂźtĂ© au chemin de fer. Le Français dans l’ivresse n’est point bĂȘtement heureux d’ĂȘtre ivre comme les autres peuples. Il faut qu’il se montre trĂšs ostensiblement ivre Ă  tous, par la bruyance, les cris, les blagues, la crapulerie exubĂ©rante. Sa grande gaĂźtĂ© dĂ©voile son esprit de vanitĂ© et d’inĂ©galitĂ© elle a besoin d’ĂȘtre Ă©crasante pour les autres. 18 septembre. — Rien, rien et rien, dans cette exposition de Courbet. À peine deux ciels de mer
 Hors de lĂ , chose piquante, chez ce maĂźtre du rĂ©alisme, rien de l’étude de la nature. Le corps de sa Femme au perroquet » est aussi loin du vrai du nu, que n’importe quelle acadĂ©mie du XVIIIe siĂšcle. Puis le laid, toujours le laid, et le laid bourgeois, le laid sans son grand caractĂšre, sans la beautĂ© du laid. — L’homme de la Morgue rĂ©pondait Ă  quelqu’un lui parlant de l’émotion qu’il devait ressentir aux sinistres reconnaissances des cadavres Oh ! on se fait Ă  tout
 il n’y a qu’une chose, c’est, quand c’est une mĂšre
 voyez-vous, le mort serait-il dĂ©composĂ©, pourri, serait-il du papier mĂąchĂ©, comme il y en a
 quand c’est une mĂšre, elle se jette dessus et l’embrasse
 Il n’y a qu’elle pour cela ! » — Nous sommes des assidus de l’ArĂšne athlĂ©tique, de ce spectacle de la lutte, qui se rĂ©percute dans tous vos nerfs, et dont vous vous en allez avec un peu de la tristesse et de la dĂ©ception des vaincus. Ce soir nous avons vu, pour la premiĂšre fois, l’homme masquĂ© », une figure du paladin du biceps, qui nous est restĂ©e, ainsi qu’une apparition du Chevalier noir, dans le chapitre d’un roman de Walter Scott. Cette force masquĂ©e, une force Ă©trange, mystĂ©rieuse, diffĂ©rente de toutes les forces que nous avons vues Ă  l’ouvrage, une force qui part comme un ressort et qui, en ses deux petites mains gantĂ©es de noir, pĂ©trit un torse et des flancs, comme avec des mains d’acier. Ç’a Ă©tĂ© un spectacle Ă©tonnant et tout inattendu, que ce gros FarnĂšse de Bonnet, Ă©tendu, aplati par terre, rendu inerte, la puissance de sa masse brisĂ©e sous cet homme, Ă  tĂȘte de satin noir, couchĂ© presque doucement sur lui avec la pesĂ©e lĂ©gĂšre et fantastique d’une chimĂšre et d’un cauchemar. Il y a une heure lĂ , quand le gaz baisse et s’embruine, que le brouillard des cigares devient intense, qu’une pĂąleur nerveuse est sur toutes les figures, que les teints de Paris se plombent d’émotion, une heure oĂč, sur les gradins de la salle de bois, la foule de ces tĂȘtes de photographes et de journalistes, fait comme des tas blafards et effacĂ©s de vivants, dans une ombre Ă  la Goya[2]. — AprĂšs dĂźner, au restaurant Philippe. Du talent, peut-ĂȘtre en avons-nous, et je le crois, mais d’avoir du talent, il nous vient moins d’orgueil, que de nous trouver des espĂšces d’ĂȘtres impressionnables d’une dĂ©licatesse infinie, des vibrants d’une maniĂšre supĂ©rieure, et les plus artistes Ă  goĂ»ter l’aile de poularde braisĂ©e que nous mangeons ici, un tableau, un dessin, une boĂźte de laque, un bonnet de linge de femme, le suprĂȘme et l’exquis de toute chose raffinĂ©e et inaccessible aux gros sens d’un public. 27 septembre — Voltaire, et encore et toujours cette histoire de sa fiĂšvre Ă  l’anniversaire de la Saint-BarthĂ©lemy. Lui, la sensitive de l’éphĂ©mĂ©ride ! Allons donc, lui bon, tendre, pitoyable ! Mais, je le rĂ©pĂšte, il n’y a qu’à regarder ses lĂšvres, dans sa statue de Houdon. Eh bien, moi aussi je te baptiserai, Voltaire, tu es Satan-Prud’homme. La lumiĂšre blanche du gaz, rĂ©verbĂ©rĂ©e par les disques de mĂ©tal, faisant des remous comme argentĂ©s sur le rouge des banquettes. La salle blanchie Ă  la chaux, sur laquelle s’enlĂšve la couleur naturelle du bois des poutrelles et des planches des petites loges, en forme de box. Dans l’ombre profonde des deux extrĂ©mitĂ©s de la salle, le scintillement des boutons et des poignĂ©es d’épĂ©e des sergents de ville. Les membres luisants des lutteurs s’élançant dans la pleine lumiĂšre. — Les dĂ©fis des yeux. — Les claquements de mains sur la peau dans l’empoignade. — Une sueur qui sent la bĂȘte fauve. — Des pĂąleurs se mĂȘlant Ă  la blondeur des moustaches. — Des chairs qui se rosent aux places talĂ©es. — Des dos suintant comme des pierres d’étuves. — Des marches se traĂźnant Ă  genoux. — Des virevoltes sur la tĂȘte, etc., etc. 28 septembre. — Dans les coulisses des Français. Le cor d’Hernani — c’est un cornet Ă  pistons de la Garde impĂ©riale, — et Ruy Gomez se plaignait, ce soir, d’avoir trop mangĂ© Ă  son dĂ©jeuner de tripes Ă  la mode de Caen. Oh ! toutes les choses du monde, lorsqu’on les voit par derriĂšre ! 29 septembre. — La race des ministres est descendue, et je crois qu’elle ne peut guĂšre descendre plus bas. Sous Louis-Philippe, c’étaient encore des professeurs ; aujourd’hui j’en vois un, qui est un vrai Gaudissart, avec des favoris de marin de la MĂ©diterranĂ©e, l’encolure d’un placeur de gros vins et d’un homme Ă  femmes de la CannebiĂšre, enfin le brun poilu qu’on voit dans les lithographies obscĂšnes de DevĂ©ria. Ce ministre est Ă  la fois plat, humble, rogue et haut. Et le voilĂ , Ă  table, prenant ses aises d’homme mal Ă©levĂ©, et s’épanouissant en vieilles histoires marseillaises usĂ©es jusqu’à la corde, et faisant un gros bruit bĂȘte de troun de l’air, en habit noir. Le soir, au fumoir, il s’est Ă©tendu, en se vautrant sur un divan, avec cette habitude des hommes d’État actuels, auvergnats et marseillais, de dĂ©crotter les talons de leurs bottes Ă  la soie des meubles, et Ă  la fois dĂ©daigneux, et contempteur du monde qui Ă©tait lĂ , et tout ahuri Ă  la question Ă©bouriffamment intime que lui adresse, sous un air parfaitement bĂȘte, ThĂ©ophile Gautier, sur ses rapports conjugaux avec son Ă©pouse. 3 octobre. — La maladie effraye la femme du peuple, comme l’orage les bestiaux. L’inconnu du mal qui vient Ă  elle, l’hĂ©bĂȘte. Ainsi que les enfants, les femmes du peuple disent au mĂ©decin, qu’elles souffrent de partout. Dimanche 7 octobre. — Saint-Gratien. Avant dĂźner, dans la chambre d’EugĂšne Giraud, pendant qu’on se chausse, qu’on se lave les mains, qu’on passe l’habit de circonstance, qu’on fume une cigarette, Charles Giraud raconte qu’à TaĂŻti, les femmes ont l’habitude de s’oindre le corps d’une certaine prĂ©paration jaune qui leur enlĂšve l’apparence solide d’un corps humain, et donne Ă  leur corps, Ă  leur chair, la transparence d’une bougie transparente, en fait des statues Ă©trangement douces Ă  l’Ɠil, presque diaphanes. Et la description de ces femmes est remplacĂ©e, je ne sais par quelle transition, dans la bouche de Penguilly, par les effets du canon. Il se met Ă  conter, comme il sait conter, vous donnant avec son rĂ©cit lent et dĂ©taillĂ©, rĂ©cit d’officier et de peintre, l’idĂ©e d’une veillĂ©e de camp, il se met Ă  conter un des derniers coups de canon de 1814. Une batterie française, aux portes de Paris, avait devant elle du brouillard ; et des formes Ă  peine visibles se montraient, un instant, dans ce brouillard, tiraient et disparaissaient, en se jetant Ă  plat ventre au milieu de broussailles. C’étaient des tirailleurs suĂ©dois, dont l’un venait d’abattre ou de blesser, coup sur coup, trois canonniers. Cela agaçait les Français, quand le capitaine s’adressant au meilleur pointeur, lui dit TĂąche de toucher ce bougre ! » La piĂšce de service Ă©tait un petit obusier. Le coup partit, Ă  l’instant oĂč la silhouette du SuĂ©dois se levait de terre. Je crois avoir touchĂ©, mon capitaine, » dit le pointeur, et la canonnade continua toute la journĂ©e. Le soir, au moment, oĂč on relevait les blessĂ©s pour les porter aux ambulances, le canonnier dit au capitaine Je voudrais bien aller voir mon coup de ce matin ! » Le canonnier va Ă  l’endroit oĂč son coup avait dĂ» porter, et trouve un vivant encore chaud, mais un vivant dont le boulet avait fait, dans la face, le creux rond d’une serpe, avait enlevĂ© le nez, les yeux, la bouche, tout ce qui est la figure d’un homme. Le canonnier porte le SuĂ©dois Ă  l’ambulance. Le cas est trouvĂ© curieux. On le panse, on s’ingĂ©nie en inventions pour le faire boire, pour le faire un peu revivre, avec des tuyaux de plume, avec je ne sais quoi
 Mais voilĂ  l’effroyablement terrible l’homme pansĂ©, bandĂ©, revient Ă  lui. On le voit, dans le premier moment, ignorant de sa blessure, se tĂąter de ses bras Ă©tendus, d’abord les jambes, tout doucement remonter, se tĂąter les cuisses, puis le ventre, l’estomac, la poitrine, puis arrivĂ© lĂ , s’arrĂȘter un moment, avoir un mouvement d’épaules qui fit peur, porter enfin les mains Ă  sa tĂȘte, Ă  la place de sa figure, au bandage qui la recouvrait et l’arracher
 On le fit vivre cinq jours. Penguilly racontait encore que la fameuse marĂ©chale LefĂšvre, cette haute gueule de la premiĂšre cour impĂ©riale, apporta, un beau matin, le bĂąton du marĂ©chal au MusĂ©e d’artillerie, et comme le conservateur, tout en la remerciant, s’étonnait que la famille ne conservĂąt pas une telle relique Ah ! bien oui, ma famille, vous ne les connaissez pas, — et faisant le geste, — ils seraient capables de s’en servir pour abattre des noix ! » 8 octobre. — DĂźner Magny. Oh ! l’intolĂ©rance du parti de la tolĂ©rance ! J’ai pensĂ© au mot de Duclos. Ils finiront par me faire aller Ă  la messe ! » 11 octobre. — Fini aujourd’hui notre piĂšce Blanche de la Rochedragon la Patrie en danger. La rue Childebert va disparaĂźtre. Goguet le marchand de cadres anciens dĂ©mĂ©nage. DrĂŽle de bonhomme et drĂŽle de rue. La rue lĂ©preuse avec son air de cul-de-sac provincial, et qui fait brusquement le coude Ă  une petite entrĂ©e de Saint-Germain-des-PrĂ©s une rue oĂč le bric-Ă -brac coulait sur le pavĂ©, oĂč des fauteuils Ă©taient Ă  cheval sur le ruisseau, une rue oĂč l’on marchait au milieu de cadres dĂ©dorĂ©s, une rue oĂč aux devantures et sur les portes, c’était un mĂ©li-mĂ©lo de vieux portraits sur des chaises n’ayant plus que des sangles, des tapisseries reprĂ©sentant des saintes brodĂ©es Ă  l’aiguille, des crucifix, des portoirs de fayence, des fontaines de cuivre, des plats en Ă©tain, une ferronnerie et une ferraillerie moyenĂągeuses, et des bouts de cors de chasse, passant sous des habits de membres de l’Institut, et des guitares pendues sur des chĂąssis, reprĂ©sentant des tĂȘtes d’expression de femmes grecques en turban de Mme de StaĂ«l, peintes aux annĂ©es philhellĂšnes, et des ciels de lit aux vieilles soieries faisant des auvents de boutiques. Une boutique entre autres, Ă  la porte de Goguet, pareille Ă  une palette de la loque, de toutes ses usures et de toutes ses flĂ©trissures, ouvrant entre des verdures brĂ»lĂ©es, rĂąpĂ©es, mangĂ©es, pourries, enfin une espĂšce de trou, aux amoncellements de paquets de lisiĂšres, aux tas de morceaux de cordons de tirage, d’effiloquages de soie et laine, un trou plein Ă  dĂ©border, pour ainsi dire, d’un fumier de tissus. Puis l’escalier tout noir, et tout suintant d’eau, et la loge du concierge au premier, oĂč, dans l’humide coup de jour glauque du vitrage, on voyait le portier et la portiĂšre Ă  cĂŽtĂ© de trois pots de joubarbe, comme des noyĂ©s sur un banc d’herbe, dans le fond jaune d’un fleuve. Et Goguet et son acolyte, avec leurs mines glabres, leurs physionomies humbles de brocanteurs-sacristains. 16 octobre. — DĂźner avec HĂ©bert chez Philippe. Il nous parle d’un de ses Ă©lĂšves de Rome, un jeune sculpteur, le frĂšre de Barrias le peintre, lequel Ă©tait tourmentĂ© depuis longtemps de la toquade d’aller en GrĂšce, pour mettre au bas d’un buste ou d’une figure ΑΞηΜη, suivi de Î•Ï€ÎżÎčΔÎč. Il vient de recevoir de lui une lettre dĂ©sespĂ©rĂ©e, dans laquelle il lui dit, que dans l’ancienne patrie de Phidias, il n’y a plus de modĂšle, plus mĂȘme de terre Ă  modeler, et qu’un sculpteur qu’il a fini par dĂ©couvrir lui dĂ©clarait que, lorsqu’en GrĂšce, quelqu’un s’avisait de vouloir faire une Ɠuvre d’art quelconque, il se rendait Ă  Rome, et qu’à AthĂšnes on ne sculptait absolument plus que d’aprĂšs des gravures. Nous lui parlions du musĂ©e de Grenoble, du splendide Rubens reprĂ©sentant saint Bonaventure, et nous lui demandions s’il n’avait pas eu une action sur sa vocation. Il nous rĂ©pondait que sa vocation n’était pas venue de son musĂ©e natal, mais qu’elle lui Ă©tait venue des ruisseaux de sa province, de ces ruisseaux pas trĂšs grands, larges comme la table, Ă  l’eau trĂšs courante, et cependant paraissant immobile, avec l’ondulation verte de toutes sortes d’herbes, sur le fond gris, oĂč il y a des cailloux jaunes. Ces tons doux et lisses, sous la fuite du ruisseau, cette lumiĂšre noyĂ©e, cette transparence de choses aquatiques, sous ce vernis trĂ©mulant, — ce vernis qu’il comparait Ă  un vernis copal, — ce fut pour lui son miroir d’idĂ©al et l’inspiration de sa vocation. Berlioz est son compatriote. Ils Ă©taient de deux maisons dans la montagne, l’une un peu au-dessus de l’autre. Il l’avait vu le matin mĂȘme, et Berlioz lui racontait avoir Ă©tĂ© amoureux Ă  douze ans, dans le pays, d’une jeune fille de vingt ans. Depuis, il avait passĂ© par bien des amours, romanesques, farouches, dramatiques, avec toujours cependant, au fond de lui, la sourde mĂ©moire de ce premier amour, auquel il Ă©tait passionnĂ©ment revenu, en retrouvant Ă  Lyon sa jeune fille, ĂągĂ©e de 74 ans. Et maintenant lui Ă©crivant, et ne lui parlant que des souvenirs de son cƓur de douze ans, il ne vivait plus que de cette flamme passĂ©e ! — Le beau Louis XVI, est le beau Louis XV, le Louis XV de 1760, le Louis XV contemporain du Garde-Meuble, et personne ne l’a vu. Le vrai Louis XVI est dĂ©jĂ  de l’Empire, il n’y a qu’à voir l’horrible coffret Ă  bijoux de Marie-Antoinette. — Il y a des hommes, il y a la femme. 21 octobre. — Aux buffets anglais de l’Exposition. Les femmes tirent un aspect fantastique de leur Ă©clat, de leur blancheur crue, de leurs cheveux fulgurants, un aspect qui leur donne l’apparence de prostituĂ©es de l’Apocalypse ; elles ont quelque chose d’inhumain, d’alarmant, d’effrayant. Des yeux qui jamais ne regardent, un mĂ©lange de clowns et de bestiaux des bĂȘtes splendides et inquiĂ©tantes. 27 octobre. — À Bellevue, chez Charles Edmond qui vient de se faire bĂątir un petit palais bourgeois. Nous allons avec lui chez Berthelot, son voisin, et tombons dans l’intĂ©rieur du chimiste. Une petite maison dans les bois. Un jardin plein d’enfants, un salon plein de femmes. Mme Berthelot, une beautĂ© singuliĂšre, inoubliable une beautĂ© intelligente, profonde, magnĂ©tique, une beautĂ© d’ñme et de pensĂ©e, semblable Ă  ces crĂ©ations de l’extra-monde de Poe. Des cheveux Ă  larges bandeaux presque dĂ©tachĂ©s, Ă  l’apparence d’un nimbe, un calme front bombĂ©, de grands yeux pleins de lumiĂšre dans l’ombre de leur cernure, un corps un peu plat avec dessus une robe de sĂ©raphin maigre. Et une voix musicale d’éphĂšbe, et un certain dĂ©dain dans la politesse et l’amabilitĂ© d’une femme supĂ©rieure. Un enfant, son aĂźnĂ©, est venu s’asseoir tout contre elle, beau comme un enfant fait au ciel. Nous battons toute la journĂ©e, en compagnie de Berthelot, les bois de SĂšvres et de Viroflay, et nous retombons le soir dĂźner dans le mĂ©nage Charles Edmond. — La vie est une telle peine, un tel travail, une telle occupation, que des hommes comme nous doivent arriver Ă  se dire, Ă  l’heure de la mort Avons-nous vĂ©cu ? » 5 novembre. — PhiloxĂšne Boyer est mort de la maladie de Fontenelle, de l’impossibilitĂ© de vivre. Il n’y a que ce temps-ci pour faire mourir les gens de vieillesse Ă  38 ans. 14 novembre. — Ce soir, Sainte-Beuve donne Ă  dĂźner Ă  la princesse. La petite cuisiniĂšre Marie nous fait entrer dans la salle Ă  manger, oĂč se dresse comme le dĂźner montĂ© d’un curĂ©, recevant son Ă©vĂȘque, et de lĂ  dans un salon du rez-de-chaussĂ©e tout blanc, tout dorĂ©, avec son meuble jonquille battant neuf, qui semble le meuble fourni Ă  une cocotte par un tapissier. Les invitĂ©s arrivent la princesse, Mme de Lespinasse, le vieux Giraud de l’Institut, le docteur Phillips, Nieuwerkerke. La princesse a la mine toute gaie ; elle s’amuse d’avance, comme d’une partie de garçon. À dĂźner, elle veut tout servir, tout dĂ©couper. Son pĂšre dĂ©coupait toujours. Il avait de trĂšs jolies mains. Il mangeait mĂȘme la salade avec les doigts, et quand on lui disait que ce n’était pas propre, il rĂ©pondait De mon temps, si nous ne l’avions pas fait, nous aurions Ă©tĂ© grondĂ©s, on nous aurait dit que nous avions les mains sales ! » Au bout de la table, Sainte-Beuve a l’air d’un maĂźtre d’hĂŽtel d’une cĂ©rĂ©monie funĂšbre, de son repas de mort. Je le trouve cassĂ©, vieux, rabĂąchant, ayant pour se plaindre du mal qu’il a Ă  vivre, cette mimique sĂ©nile, ces fermements d’yeux qui disent Allez, je me sens ! » ces gestes de componction triste, et ces paroles qui se plaignent avec des mots vides. Il ne mange pas, se lĂšve deux ou trois fois pendant le dĂźner, demande qu’on ne fasse pas attention Ă  lui, revient comme le revenant de sa maison, comme une ombre de vieillard qui ne veut dĂ©ranger personne. Chacun se bat les flancs. On essaye d’égayer le champagne, mais le rire est froid et se glace. La princesse devient sĂ©rieuse et paraĂźt souffrante
 Dans le salon, Sainte-Beuve, tĂąchant de sourire, assis au bout du canapĂ© jonquille, arc-boutĂ© de ses deux poings sur la soie, se laisse aller Ă  conter les tristesses de sa jeunesse, de sa vie sans chaleur avec les gens du Globe, Cousin, Vitet gens qui ne lui donnaient que leur esprit, leur amabilitĂ©, rien de plus, et souvent le dĂ©concertaient par des discussions, oĂč il Ă©tait tout Ă©tonnĂ© d’entendre Cousin appeler Louis XIV un godelureau ». Il nous parle de son temps d’interne Ă  Saint-Louis, en 1827, de sa chambre, rue de Lancry, au dix-huitiĂšme Ă©tage, oĂč je vivais si seul, dit-il, que pendant sept mois, personne n’est entrĂ© que ma mĂšre, et une seule fois »  C’est depuis ces mĂ©lancolies de l’isolement, qu’il a rĂ©agi contre, qu’il a eu toujours besoin de monde, qu’il a voulu dans sa salle Ă  manger des femmes, des chats. Et il cite l’exemple de Saint-Évremont s’entourant, Ă  mesure qu’il vieillissait, de bĂȘtes, d’animaux
 et d’hommes, ajoute-t-il en souriant, pour faire plus de vie autour de lui. Ah ! si j’avais eu lĂ , Ă  l’hĂŽpital, un maĂźtre, mais c’était Richerand, un charlatan
 » LĂ -dessus le docteur Phillips, avec sa grosse tĂȘte dans les Ă©paules, ses yeux saillants, sa personne ankylosĂ©e, se met Ă  parler chirurgie, opĂ©rations, nous entretient de Roux, cet artiste du pansement qui tuait ses malades par la coquetterie de ses bandes. La princesse l’interrompt, en lui jetant au nez la barbarie des chirurgiens, leur insensibilitĂ©, le peu d’émotion qu’il faut qu’ils aient
 Si, riposte Phillips, j’en ai beaucoup, mais seulement pour les enfants
 Ces pauvres petits ĂȘtres auxquels on ne peut pas faire comprendre que c’est pour leur bien
 Oh ! cela est horrible
 » Puis aprĂšs un silence Voyez-vous, dans notre mĂ©tier on ne voit plus que la science
 la science c’est si beau
 Mais il me semble que je ne vivrais plus, si je n’opĂ©rais plus
 C’est mon absinthe ! » Et la fatalitĂ© de cette conversation, ce qui planait dans cet intĂ©rieur, la fin prochaine de l’hĂŽte qui nous recevait, avaient jetĂ© tous les dĂźneurs dans une triste songerie. — Vie d’enfer tout ce mois de novembre publier un livre, arranger un appartement, avoir affaire Ă  tous les corps de mĂ©tier, ranger une bibliothĂšque, Ă©crire un travail de casse-tĂȘte sur les vignettistes du XVIIIe siĂšcle, et suivre chacun un rĂ©gime, et essayer de se refaire un peu le corps. Notre devise en ce bas monde devrait ĂȘtre MalgrĂ© tout. — En attendant que nous la prenions, nous la donnons au hĂ©ros de notre piĂšce. 25 novembre. — Bar-sur-Seine. À la campagne et en famille pour changer. Nous laissons derriĂšre nous Manette Salomon en plein succĂšs. 4 dĂ©cembre. — Contraste de la vie ! Nous emplissons un peu Paris en ce moment du bruit de notre livre, et nous voici ici devant l’ñtre de la cheminĂ©e de la baraque, oĂč sur le manteau de brique encore tachĂ© de la main des maçons marquĂ©e en chaux, noircit un bouquet dessĂ©chĂ© d’immortelles, couleur de vieux bois. Dans la cheminĂ©e, des souches fantastiques, flambant, se tordant, rougeoyant comme des racines de mandragores. Et dans la baraque, un banc, un cor de chasse, un vieux nid de frelons Ă  une solive, rien que cela. Au dehors, le soleil sur la neige, une route comme un champ de mottes, toutes blanches et Ă©tincelantes aux ombres doucement bleuĂątres de la ouate, et de chaque cĂŽtĂ© de la route, le bois roux, avec çà et lĂ , comme un de ces paquets de feuillage mort qu’on voit Ă  la porte d’une auberge. En se retournant, un soleil tout blanc, qui fait aux ramures noires des arbres un fond d’argent ; et de distance en distance, une brindille perdue portant Ă  sa derniĂšre feuille une sorte de marguerite de givre ; au loin un fouillis, un lacis, une confusion de ramilles maigres qui se perdent dans du violacĂ©, saupoudrĂ© d’une poudre de neige, leur donnant la lĂ©gĂšretĂ© d’une forĂȘt de plumes. Et, sous un ciel sourd, lamĂ© de bleu froid et de jaune pĂąle, la route tout au loin, blanche, blanche, blanche, avec ses frĂ©quentations, les pas de la nuit, la trace de l’animal, l’impression de son pied et la bifurcation de la corne sur la blancheur du chemin. — Lu un peu du MĂ©morial de Sainte-HĂ©lĂšne. À faire, dans NapolĂ©on, tout un chapitre sur cette tĂȘte, un monde, — ce cerveau plein des affaires du monde et des comptes de boutons d’une armĂ©e[3]. 17 dĂ©cembre. — Nous aimons ces changements d’existence, ces triomphes de l’animalitĂ© au retour de la chasse, ces coups de fouet de fatigue, ces griseries des fonctions physiques, oĂč le boire, le manger, le dormir, deviennent comme des fĂ©licitĂ©s divines de bĂȘtes. — La vie, ah ! la vie, mĂȘme pour les plus heureux et les plus Ă©crasĂ©s de fortune, mĂȘme pour les meilleurs. Un saint, un grand seigneur, un propriĂ©taire de deux millions de rente, un homme qui a eu une si bonne volontĂ© au bien et au beau, — j’ai nommĂ© le duc de Luynes, — un jour accablĂ© par la vie, ne put retenir Mais je suis donc maudit ! » 25 dĂ©cembre. — Jour de NoĂ«l. DĂ©licatement aimable et bien femme, la princesse ! Elle a pensĂ© Ă  mettre, pour notre retour, une toilette que nous lui aimons. C’est son jour de loterie de tous les ans, jour qu’elle a choisi pour faire les honneurs de sa serre Ă  son intimitĂ©. Luxe tout nouveau que ces salons-serres, qui n’ont guĂšre plus de vingt ans de date, et dont le goĂ»t remonte peut-ĂȘtre Ă  Mlle de Cardoville d’EugĂšne Sue. Avec son goĂ»t de bric-Ă -brac, la princesse a semĂ© dans cette serre qui contourne son hĂŽtel au milieu des plus belles plantes exotiques, toutes sortes de meubles de tous les pays, de tous les temps, de toutes les couleurs, de toutes les formes un capharnaĂŒm qui a l’étrange et l’amusant du dĂ©ballage d’un magasin de bibelots dans une forĂȘt vierge. Et lĂ -dedans, des lumiĂšres sur des feuilles de bananier, qui semblent des lumiĂšres Ă©lectriques, et partout ce doux vert cendre verte » de la plante des tropiques, dĂ©tachĂ©, dĂ©coupĂ©, digitĂ© sur la pourpre d’un drap rouge, chiffonnĂ© Ă  grands plis contre les murs. Jeudi 26 dĂ©cembre. — ÉtĂ© voir Thierry, pour lui demander la lecture aux Français de nos cinq actes sur la RĂ©volution. Les politesses de Thierry nous ont fait trembler. 29 dĂ©cembre. — Chez la princesse, ce matin. Pendant les tintements de la messe, dite pour la princesse dans une piĂšce voisine, tintements coupĂ©s, dans le salon oĂč nous sommes, par des blagues d’Arago, Vimercati raconte un curieux dĂ©part de la vie d’un de ses amis, le dernier inscrit sur le livre de la noblesse de Venise. Ce monsieur, qui avait cent mille livres de rente, un jour, prit congĂ© de ses amis, de ses connaissances, du monde, les prĂ©venant qu’il s’en allait mourir dans la montagne. Il s’y faisait bĂątir une maison, et servir par une espĂšce de jardinier, qui lui fricotait son petit repas du matin et du soir, et sans vouloir recevoir Ăąme qui vive, il restait sept ans en cravate blanche, sur cette hauteur, Ă  prendre son vol pour l’éternitĂ©. À quatre heures, nous allons chez Sainte-Beuve, savoir de ses nouvelles. Il nous fait dire qu’il dĂ©sire nous serrer la main. Nous montons l’escalier Ă©troit, nous passons le petit pas, entrons dans cette chambre Ă  la fois nue et encombrĂ©e, au lit de fer sans rideaux, et qui a l’air d’un campement dans une bibliothĂšque en dĂ©sordre. Du lit, deux mains se tendent chaudes et douces. Vaguement, nous percevons une tĂȘte tout enchiffonnĂ©e, un corps auquel la souffrance et le ramassement sous les draps ont presque ĂŽtĂ© sa forme. — Mal
 cela va mal ! » C’est sa premiĂšre phrase. — Mais pourtant les mĂ©decins
 — Qui, les mĂ©decins ? rĂ©pond-il, avec une note colĂšre dans la voix, je n’ai plus de mĂ©decins, ils m’ont abandonnĂ© !
 D’Alton-ShĂ©e m’a donnĂ© Johnston
 Phillips a Ă©tĂ© trĂšs gentil, mais c’est pour la chirurgie
 peut-ĂȘtre y viendrai-je demain
 je ne peux plus maintenant passer trois heures sans me sonder
 et puis je vais sur le vase
 et des minutes Ă  me tordre
 des spasmes de vessie
 oh, affreux ! » Et il entre dans tout le dĂ©tail technique de son horrible maladie, parlant du pus qu’il rend par l’anus, comme s’il voulait, en appuyant sur les dĂ©goĂ»ts qu’il a de lui-mĂȘme, dĂ©sarmer le dĂ©goĂ»t des autres
 Il nous paraĂźt dĂ©sespĂ©rĂ©ment rĂ©signé  Un moment il reprend haleine, puis nous dit Je me fais encore lire
 mais Ă  bĂątons rompus
 vous comprenez
 je ne peux plus assembler mes idĂ©es. » Un silence. Et le mot Adieu » et il nous retend les deux mains, retournant la tĂȘte au mur. ↑ Depuis Daudet et Zola se sont chargĂ©s de donner un dĂ©menti Ă  ma note. ↑ Une description prise dans le mĂȘme temps de l’ArĂšne athlĂ©tique, et que je retrouve dans le cahier documentaire de nos Romans futurs, qui n’ont point Ă©tĂ© faits, hĂ©las ! ↑ Un moment nous avons eu l’idĂ©e de faire une histoire du cerveau de NapolĂ©on, idĂ©e qui nous a persĂ©cutĂ©s quelques annĂ©es, mais qui a Ă©tĂ© abandonnĂ©e, sans qu’il y ait eu d’autre travail que des notes prises. 'Claudie que ces quelques roses t'apportent le bien-ĂȘtre" Les derniers rayons du soleil ont recouvert le firmament de leur mĂ©lange de couleurs merveilleuses qui annonce la nuit dans une sorte de paix profonde,c'est la fin d'un jour, les coeurs se taisent,les yeux cherchent ce qu'ils ne voient plus,une ombre occulte enveloppe les Ăąmes,c'est ce temps inextricable oĂč la terre semble converser avec les cieux et c'est alors que ces roses firent leur apparition,tout comme le mystĂšre qui m'entourait,elles Ă©mergĂšrent ,elles Ă©taient lĂ ,elles Ă©taient offertes Ă  moi,oui Ă  moi par un ami tout aussi mystĂ©rieux,je les regardai et mes lĂšvres s'entrouvrirent en un sourire qui Ă©tonna mon soir je suis bien...mon Ăąme exulte de fĂ©licitĂ©. Popular Posts Bienvenue Ă  ma toute nouvelle petite-fille Kamryn Amya Les derniers rayons du soleil ont recouvert le firmament de leur mĂ©lange de couleurs merveilleuses qui annonce la nuit dans une sorte de p... Vous ĂȘtes cordialement invitĂ© Ă  visiter mon blog Tout le plaisir est Ă  moi Le monde change Ă  une vitesse vertigineuse avec toutes nos nouvelles techniques modernes mais c'est Ă  nous de savoir gĂ©rer notre usage d... HONOREZ VOTRE VIE Par Mistraline Colombe Au diable le dĂ©sespoir! Regardez autour de vous Ouvrez vos fenĂȘtres sur le ciel de l'espoir Ri... â™Șâ™Șâ™ȘJOYEUXâ™Ș ANNIVERSAIRE,â™ȘJOYEUXâ™Ș ANNIVERSAIREâ™Ș,JOYEUX â™ȘANNIVERSAIRE TrĂšs â™ȘCHER PETIT COLBYâ™Șâ™Șâ™Ș Bonne fĂȘte Ă  ma petite maman Par Claudie E. Patrice jeudi 17 fĂ©vrier 2011 Maman voilĂ  bien la troisiĂšme annĂ©e que je te souhaite bonn...

poésie bonne année que nous apporteras tu